L’évolution de la calotte glaciaire antarctique au cours des trois prochains siècles : conclusions d’un ensemble de modèles ISMIP6
L’Antarctique, un acteur clé dans l’avenir du niveau des mers
La fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique a attiré une attention considérable en raison de son impact direct sur l’élévation du niveau des mers à l’échelle mondiale. En particulier, la région de l’Antarctique de l’Ouest, avec ses vastes glaciers marins et ses bassins déprimés, est au cœur des préoccupations concernant la stabilité des calottes et l’évolution future des niveaux marins. Dans cette étude, intitulée “Evolution of the Antarctic Ice Sheet Over the Next Three Centuries From an ISMIP6 Model Ensemble”, un ensemble de 16 modèles est analysé afin de mieux comprendre comment la calotte glaciaire antarctique pourrait évoluer au cours des trois prochains siècles. Les résultats, bien qu’encore incertains, offrent des pistes essentielles pour évaluer les impacts potentiels de la fonte des glaces sur le niveau des mers dans le cadre de différents scénarios climatiques.
Modélisation de la calotte glaciaire : une science complexe
La diversité des modèles
Les projections de l’évolution de la calotte glaciaire antarctique s’appuient sur une gamme de modèles, chacun doté de spécificités techniques propres. Parmi les modèles inclus dans cette étude, le projet ISMIP6 utilise des approches numériques variées, certaines basées sur des approximations d’équilibre de contrainte en glace peu profonde (SIA), tandis que d’autres adoptent des modèles d’ordre supérieur, capables de simuler des processus complexes tels que l’écoulement basal et les variations de température interne de la glace.
Les modèles sélectionnés pour l’étude simulent non seulement les flux de glace, mais aussi l’impact des variations climatiques, y compris les anomalies de température et de précipitations, sur la calotte glaciaire. De plus, ils incluent des paramétrisations avancées pour le calcul de la fonte sous les plateformes glaciaires, en utilisant des forçages atmosphériques et océaniques dérivés des projections climatiques du CMIP6. Cela permet d’évaluer non seulement la fonte actuelle, mais aussi les tendances futures en fonction des scénarios d’émission de gaz à effet de serre.
La prise en compte des incertitudes
Une des conclusions importantes de l’étude est que la modélisation des flux de glace reste la principale source d’incertitudes dans les projections à long terme. En effet, bien que les modèles de climat jouent un rôle croissant dans les projections du 21ème siècle, les incertitudes liées aux paramètres internes des modèles de flux glaciaires, comme les lois de glissement basal ou les ajustements isostatiques, continuent de dominer sur les échelles multi-séculaires.
Résultats majeurs de l’étude
Contribution à l’élévation du niveau de la mer
La contribution de la calotte antarctique au niveau des mers reste limitée au cours du 21e siècle, avec une élévation projetée de moins de 30 cm dans les scénarios d’émission les plus pessimistes (RCP8.5). Cependant, après 2100, la situation change radicalement, surtout dans le cadre des scénarios d’émission élevée. Les projections indiquent une contribution pouvant atteindre 4,4 mètres d’élévation du niveau de la mer d’ici 2300, avec des pointes allant jusqu’à 6,9 mètres si l’effondrement des plateformes glaciaires est pris en compte.
Les bassins glaciaires de l’Antarctique de l’Ouest, en particulier ceux alimentant les plateformes de Ross et Ronne, sont les plus vulnérables à la fonte accélérée. Ces régions, caractérisées par des systèmes de glaciers marins reposant sur des lits rocheux sous le niveau de la mer, sont susceptibles de connaître des retraits importants des lignes d’ancrage, amplifiant ainsi l’écoulement de glace vers l’océan.
L’impact du réchauffement océanique et atmosphérique
Le forçage océanique, en particulier la fonte sous les plateformes glaciaires, joue un rôle crucial dans l’évolution future des glaciers antarctiques. L’étude souligne que l’évolution des températures océaniques à long terme pourrait entraîner une perte de masse glaciaire plus rapide et plus généralisée après 2100. Les simulations montrent que, sous un scénario d’émission élevée, les températures de surface et de fond des océans autour de l’Antarctique pourraient augmenter de plusieurs degrés Celsius, accélérant ainsi la fonte des plateformes et réduisant leur capacité à stabiliser les glaciers terrestres.
L’effondrement des plateformes glaciaires
Un autre facteur clé dans les projections est l’effondrement potentiel des plateformes glaciaires. Selon l’étude, l’effondrement de plateformes majeures comme celle de Ross ou Ronne pourrait contribuer à une élévation supplémentaire du niveau des mers de 1,1 mètre en moyenne d’ici 2300. Les mécanismes d’effondrement, principalement dus à l’augmentation des précipitations liquides et à la fracturation hydraulique des plateformes, sont particulièrement marqués dans les scénarios climatiques les plus pessimistes, où les températures de l’air pourraient augmenter de 20°C par rapport aux niveaux actuels.
Variabilité régionale et retrait des lignes d’ancrage
L’une des observations notables de l’étude est la variabilité régionale du retrait des glaciers. Les simulations montrent que la vitesse de retrait des lignes d’ancrage varie fortement d’un bassin glaciaire à l’autre, selon la topographie sous-glaciaire. Par exemple, le glacier Thwaites, déjà considéré comme une “bombe à retardement”, pourrait reculer de plusieurs centaines de kilomètres en l’absence de stabilisateurs topographiques majeurs. En revanche, d’autres secteurs, comme la région côtière de l’Antarctique de l’Est, montrent une plus grande résilience, avec une fonte plus progressive et moins spectaculaire.
L’influence des scénarios d’émission
L’une des conclusions les plus importantes de l’étude est que l’impact des scénarios d’émission devient particulièrement prononcé après 2100. En effet, bien que les différences entre les scénarios RCP2.6 (émissions faibles) et RCP8.5 (émissions élevées) soient relativement limitées au cours du 21ème siècle, elles s’amplifient considérablement par la suite. D’ici 2300, les projections pour le scénario à faible émission montrent une contribution d’à peine 0,5 mètre à l’élévation du niveau des mers, tandis que les scénarios à forte émission prévoient des élévations bien plus importantes.
Cela souligne l’importance des efforts d’atténuation des changements climatiques pour stabiliser la calotte glaciaire antarctique sur le long terme. Des réductions significatives des émissions de gaz à effet de serre pourraient limiter la fonte des glaces et, par conséquent, atténuer les risques liés à l’élévation du niveau des mers pour les sociétés côtières.
Une évolution préoccupante mais évitable
L’étude sur l’évolution de la calotte glaciaire antarctique offre des perspectives inquiétantes mais importantes pour la compréhension des mécanismes qui sous-tendent la perte de masse glaciaire et l’élévation du niveau des mers. Les résultats montrent clairement que la stabilisation de la calotte antarctique dépend largement des efforts mondiaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si ces efforts ne sont pas réalisés, l’Antarctique pourrait devenir un contributeur majeur à l’élévation du niveau des mers, avec des impacts dévastateurs pour des millions de personnes dans le monde entier.
Les projections pour l’Antarctique démontrent que, bien que les processus de fonte puissent sembler lents à court terme, ils s’accéléreront de manière significative après 2100 sous l’effet des mécanismes de rétroaction et des forçages climatiques. Une action immédiate pour limiter le réchauffement climatique est donc essentielle pour éviter des scénarios catastrophiques à long terme.
