Comment reconnaît-on un accent ? La réponse intuitive serait : à l’oreille. Pourtant, une étude récente menée par Kathryn Campbell-Kibler, linguiste à l’Université d’Ohio, remet en question cette idée. Publiée dans le Journal of Sociolinguistics, cette recherche suggère que la perception des accents repose autant, sinon plus, sur des facteurs culturels que sur une véritable évaluation auditive.
L’étude s’inscrit dans un projet de recherche mené au Language Sciences Research Lab situé dans un musée scientifique de Columbus. Son protocole s’appuie sur un large échantillon de participants, allant de 9 ans à l’âge adulte.
Une expérience basée sur l’écoute de voyelles
Les chercheurs ont demandé à 1 106 participants, principalement des habitants de l’Ohio, d’évaluer l’accent de plusieurs locuteurs prononçant des mots contenant une voyelle commune. Parmi ces termes figuraient “pass”, “food” et “pen”.
Les participants devaient noter chaque enregistrement sur une échelle allant de “pas du tout accentué” à “très accentué”. Sans le savoir, ils écoutaient des locuteurs originaires de trois régions de l’Ohio : le nord (accent de l’Inland North), le centre (accent du Midland) et le sud (accent du Sud).
En parallèle, on leur a demandé d’évaluer le niveau d’accent général des habitants de ces régions, en attribuant une note entre 0 (aucun accent) et 100 (très accentué).
Une perception influencée par l’environnement social
Les résultats ont montré un écart significatif entre l’évaluation des accents régionaux et celle des voix enregistrées. Par exemple, les participants considéraient généralement que les habitants du sud de l’Ohio avaient l’accent le plus marqué (entre 60 et 70 sur l’échelle). Ceux du centre étaient jugés comme ayant peu d’accent (autour de 20-25), tandis que ceux du nord recevaient une note plus hésitante, proche de 50.
Cependant, lorsqu’ils écoutaient directement un locuteur du sud, leur notation ne reflétait pas nécessairement leur perception préalable de l’accent de cette région. Même ceux qui pensaient que les habitants du nord parlaient avec un fort accent ne notaient pas les voix de cette région comme particulièrement accentuées.
Autre constat marquant : la perception des accents semble se construire progressivement. Les enfants de 9 ans ne faisaient pas de distinction claire entre les régions, tandis que la perception des différences devenait plus stable à partir de 25 ans.
Un apprentissage influencé par la culture et les médias
Ces observations soulèvent une question essentielle : si nous ne repérons pas les accents simplement à l’oreille, comment les intégrons-nous dans notre perception du monde ?
Une partie de la réponse réside dans l’apprentissage social. L’exposition à des discours sur les accents, que ce soit à travers les conversations, les médias ou les représentations audiovisuelles, façonne notre vision. Par exemple, entendre un proche décrire un habitant d’une région comme “parlant bizarrement” ou regarder des films associant un certain type de langage à un stéréotype contribue à construire nos préjugés.
Ainsi, notre manière de juger un accent ne repose pas uniquement sur notre capacité auditive à déceler des variations phonétiques, mais aussi sur un bagage culturel et social qui guide nos perceptions.
Une question encore ouverte
L’étude de Campbell-Kibler met en évidence une dissociation entre reconnaissance auditive et jugement subjectif. Ce phénomène reste encore mal compris.
Les recherches futures devront explorer plus en profondeur les mécanismes cognitifs en jeu. Comment notre cerveau encode-t-il les différences linguistiques ? Quels sont les rôles respectifs de l’exposition directe et de la transmission culturelle ? Des questions essentielles pour mieux comprendre la construction de nos identités linguistiques.
Source ce l’étude : http://dx.doi.org/10.1111/josl.12691