C’est une question vertigineuse, mais qui trouve aujourd’hui des réponses plus précises grâce à la génétique. Selon une nouvelle analyse publiée dans Frontiers in Psychology, la capacité de langage propre à l’être humain existait déjà il y a au moins 135 000 ans. Et son usage dans les échanges sociaux serait apparu environ 100 000 ans avant notre ère.
Une nouvelle piste : l’ADN comme fil conducteur
Pour comprendre cette datation, les auteurs de l’étude n’ont pas fouillé dans les grottes à la recherche de symboles ou d’outils. Ils ont analysé 15 grandes études génétiques publiées ces 18 dernières années : trois sur le chromosome Y, trois sur l’ADN mitochondrial et neuf sur l’ensemble du génome humain.
Leur raisonnement est simple mais rigoureux : tous les groupes humains, où qu’ils soient sur Terre, possèdent une langue, et ces langues partagent des structures profondes. Cela suggère que notre capacité à parler est antérieure à la dispersion des populations humaines à travers le globe.
En analysant le moment où ces groupes ont commencé à se différencier génétiquement, les chercheurs estiment que la première séparation régionale s’est produite il y a 135 000 ans. Si chaque groupe issu de cette séparation a conservé la capacité de langage, alors cette capacité devait déjà exister avant la divergence génétique.
Homo sapiens : une espèce jeune, mais déjà bavarde ?
Notre espèce, Homo sapiens, existe depuis environ 230 000 ans. Mais à quel moment avons-nous commencé à parler ?
Certains chercheurs soutiennent que nos ancêtres avaient des capacités vocales depuis plus de 2 millions d’années. Mais cela ne signifie pas qu’ils parlaient comme nous. Ce qui définit le langage humain, ce n’est pas juste la parole, c’est la combinaison des mots et de la syntaxe : un système complexe permettant de générer une infinité d’idées à partir d’un nombre fini d’éléments.
C’est cette capacité — cognitive et symbolique à la fois — que les chercheurs situent autour de 135 000 ans avant notre ère, et son usage communicatif autour de 100 000 ans.
Symboles, pigments, et pensée abstraite
Si l’on remonte à 100 000 ans, des indices archéologiques apparaissent. On trouve des objets gravés de motifs, des usages complexes de pigments comme l’ocre rouge, et des sépultures accompagnées d’objets.
Ces activités ne sont pas banales. Elles traduisent une pensée symbolique, c’est-à-dire la capacité à donner du sens à des choses qui n’en ont pas intrinsèquement. Et cette capacité est exclusivement humaine. Elle est intimement liée au langage.
L’un des coauteurs de l’étude, Ian Tattersall, va même plus loin : le langage aurait été le déclencheur de ces comportements symboliques. En d’autres termes, la possibilité de parler aurait permis aux humains d’échanger des idées abstraites, de transmettre des savoirs, et d’innover collectivement.
Une hypothèse appuyée par la convergence des données
La première tentative de ce type d’analyse date de 2017, mais elle reposait sur un nombre limité d’études. Aujourd’hui, grâce à un corpus plus riche et plus cohérent, la marge d’erreur se réduit.
Shigeru Miyagawa, professeur émérite au MIT et auteur principal de l’article, souligne que cette nouvelle méta-analyse permet d’établir un consensus temporel plus robuste. L’ensemble des données converge vers une datation cohérente de la scission génétique initiale des groupes humains, un marqueur indirect mais puissant de la présence antérieure du langage.
Un système d’abord interne, puis partagé
Il est probable que le langage ait commencé comme un système cognitif privé. Autrement dit, nos ancêtres auraient développé des structures mentales permettant d’organiser et de manipuler des idées, avant même d’en faire un outil de communication.
Mais ce système, une fois partagé, a pu transformer en profondeur l’espèce humaine. En permettant la transmission rapide et précise d’informations complexes, le langage aurait favorisé l’émergence d’une culture cumulative : chaque génération construisant sur les acquis de la précédente.
Et maintenant ?
Les auteurs reconnaissent que cette hypothèse ne fait pas l’unanimité. D’autres chercheurs considèrent que les comportements dits “modernes” se sont développés plus lentement, à travers une accumulation progressive de compétences techniques et sociales, dans lesquelles le langage n’aurait été qu’un élément parmi d’autres.
Mais l’approche de Miyagawa et de ses collègues a le mérite d’être empiriquement ancrée dans des données génétiques récentes. Elle éclaire sous un angle nouveau l’origine du langage et sa place centrale dans l’histoire de l’humanité.
À travers cette étude, c’est aussi une invitation à observer le langage non seulement comme un moyen d’échange, mais comme le socle de notre pensée complexe. Car ce que nous disons, et comment nous le disons, ne fait pas que refléter ce que nous pensons : cela structure profondément notre manière de penser le monde.
Source de l’article : http://dx.doi.org/10.3389/fpsyg.2025.1503900