Un champignon mutant se propage dans les villes polluées… grâce aux chats errants.
Il infecte la peau, résiste aux traitements, évolue plus vite que prévu… et se transmet par griffure de chat. Bienvenue dans l’épidémie fongique la plus étrange et inquiétante du moment. En plein cœur des villes brésiliennes, Sporothrix brasiliensis prend de la puissance et s’adapte à la pollution urbaine.
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Le Brésil connait une épidémie de Sporothrix brasiliensis qui dure depuis plus de 25 ans
Tout commence à la fin des années 1990, à Rio de Janeiro. Un champignon de la famille Sporothrix, jusqu’ici rare et peu connu, commence à infecter des chats. Puis des humains. Puis d’autres chats… Bref vous l’aurez compris, le début d’un cercle vicieux !
Aujourd’hui, le Brésil fait face à la plus grande épidémie de sporotrichose jamais observée dans le monde. Cette infection chronique atteint d’abord la peau, puis les ganglions, et parfois les organes internes. Contrairement à la plupart des mycoses, celle-ci se transmet de l’animal à l’homme, via des morsures, des griffures ou même le contact avec des fluides d’un chat infecté.
L’espèce Sporothrix brasiliensis, plus virulente que ses cousines, est désormais la principale responsable de cette propagation hors de contrôle.
Une mutation accélérée par la pollution urbaine
Une étude dirigée par le Dr Anderson Messias Rodrigues, de l’université fédérale de São Paulo, vient de révéler un phénomène inquiétant : le champignon évolue, et vite. En analysant 104 souches différentes, les chercheurs ont découvert 79 variantes génétiques distinctes, concentrées autour d’un gène-clé : le gène CMC, responsable de la production d’une protéine antigénique appelée Gp60-70.
En outre, il semble que l’environnement urbain joue un rôle direct dans cette accélération génétique !
Exposés à des polluants comme le benzène, le toluène ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques, les champignons doivent s’adapter pour survivre. Le gène CMC les aide justement à décomposer ces composés toxiques. Résultat : les variants qui maîtrisent cette enzyme deviennent dominants dans les villes.
Des chats comme vecteurs privilégiés
Dans cette histoire, le chat n’est pas qu’un simple porteur mais un véritable amplificateur biologique.
Leur peau, souvent exposée à des blessures et des bagarres, offre une porte d’entrée au champignon. Leur mode de vie errant, dans des environnements pollués, les expose à des spores infectieuses. Et surtout, ils se déplacent de quartier en quartier, transmettant la maladie à d’autres chats… et à leurs propriétaires.
Les chiffres sont frappants : chaque chat infecté peut transmettre la maladie à plusieurs humains, surtout dans les zones pauvres où les soins vétérinaires sont rares. Résultat : Sporothrix brasiliensis se répand désormais dans tout le Brésil, et commence même à franchir les frontières.
Une virulence qui augmente avec les mutations
L’analyse génétique montre que ce champignon n’est pas seulement plus diversifié : il devient plus agressif.
Certains variants présentent une meilleure transmission, d’autres résistent mieux aux antifongiques classiques. Certains développent des caractéristiques antigéniques nouvelles, qui compliquent les diagnostics.
La découverte de sites de glycosylation conservés et d’épitopes ciblés par les cellules B ouvre heureusement la voie à de nouveaux outils : vaccins vétérinaires, tests de dépistage rapides, voire traitements antifongiques plus efficaces.
Encore faut-il que les systèmes de surveillance fongique suivent le rythme. Ce qui, aujourd’hui, n’est clairement pas le cas au Brésil.
Une crise sanitaire silencieuse, mais évitable
L’épidémie actuelle illustre un problème plus large : la sous-estimation des infections fongiques dans les politiques de santé publique.
Les chats errants sont peu surveillés, les diagnostics chez l’humain restent lents, et les données manquent pour comprendre la dynamique réelle de l’infection. L’étude insiste pourtant : il est possible de tracer l’évolution du champignon, de cibler les souches les plus virulentes, et d’agir avant qu’elles ne deviennent ingérables.
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Un champignon urbain, zoonotique et évolutif
Le champignon de cet article est un modèle de pathogène parfaitement adapté à notre époque : capable de vivre dans les villes, de s’adapter à la pollution, de muter vite, et de sauter d’une espèce à l’autre.
Sporothrix brasiliensis n’est pas (encore) une pandémie mondiale. Mais son fonctionnement évoque les grandes maladies émergentes : transmission inter-espèces, lien avec l’environnement, et pression évolutive rapide.
Il devient donc urgent de surveiller de près ces nouveaux agents infectieux qui exploitent nos déséquilibres urbains.
Source :
“Genetic diversity and molecular evolution of 3-carboxymuconate cyclase (Gp60–70), the major antigen in pathogenic Sporothrix species”
Par Jamile Ambrósio de Carvalho, Thiago Costa Machado, Alexandre Augusto Sasaki, Fabian Glaser, Primavera Alvarado, Alexandro Bonifaz, Sarah Santos Gonçalves, Isabella Dib Gremião, Sandro Antonio Pereira, Olga Fischman Gompertz, Zoilo Pires de Camargo and Anderson Messias Rodrigues
8 mars2025, Mycology.
DOI: 10.1080/21501203.2025.2467118