Les forêts anciennes d’Europe du Nord recèlent encore des trésors insoupçonnés. Des chercheurs viennent de découvrir cinq nouvelles espèces de champignons appartenant au genre Piloderma, pourtant considéré comme bien connu. Cette découverte publiée dans Fungal Biology révèle une diversité insoupçonnée et remet en cause ce que l’on pensait savoir sur ces organismes discrets mais essentiels.
Parmi ces cinq espèces, l’une d’elles attire particulièrement l’attention : Piloderma fugax. Ce champignon ne pousse que dans les forêts primaires et reste indétectable à l’œil non averti. Son nom latin, « fugax », signifie fuyant, caché ou éphémère, une référence à son caractère discret et à sa rareté.
Une symbiose souterraine vitale
Les espèces de Piloderma sont des champignons mycorhiziens. Elles s’associent aux racines des arbres dans une relation mutuellement bénéfique : le champignon aide l’arbre à absorber l’eau et les nutriments, notamment le phosphore et l’azote, en échange des sucres produits par la photosynthèse.
Cette relation de mycorhize est essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes forestiers. En favorisant la croissance des arbres, elle influence la biodiversité, la stabilité des sols et le stockage du carbone. Ces champignons, invisibles en surface, jouent donc un rôle majeur dans la régulation biologique des forêts boréales.
Une diversité sous-estimée jusqu’à aujourd’hui
Jusqu’à récemment, les scientifiques estimaient que le genre Piloderma ne comptait qu’un nombre restreint d’espèces. Mais en deux ans, ce nombre a triplé. En effet, les cinq nouvelles espèces viennent s’ajouter aux sept déjà décrites l’an dernier. L’analyse fine de leur ADN a permis de confirmer qu’il s’agissait d’espèces distinctes, incapables de se reproduire entre elles.
Les chercheurs ont utilisé des échantillons de sol, de racines et de sporophores (organes de fructification des champignons) collectés dans quatre pays : Suède, Norvège, Finlande et Lituanie. Ces données ont été croisées avec des bases génétiques internationales. Une rigueur méthodologique qui permet de distinguer les espèces au-delà de leur morphologie parfois trompeuse.
Piloderma fugax : un indicateur des forêts anciennes
La découverte de Piloderma fugax soulève une inquiétude. Ce champignon ne pousse que dans des forêts anciennes non perturbées, souvent en voie de disparition sous l’effet de l’exploitation forestière. Sa présence pourrait donc servir d’indicateur biologique pour repérer ces milieux rares.
Du fait de sa petite taille et de son absence de couleur vive, il est resté longtemps inaperçu. Sa discrétion souligne un point fondamental : certains organismes sont absents non pas parce qu’ils sont rares, mais parce que nos méthodes d’observation ne les détectent pas encore.
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Une espèce lumineuse, mais jusqu’à aujourd’hui méconnue
Parmi les cinq espèces découvertes, une autre retient l’attention : Piloderma luminosum. Ce champignon se distingue par la couleur jaune à orange lumineuse de ses sporophores. Bien qu’il soit répandu, il avait été longtemps confondu avec Piloderma byssinum, un proche cousin.
Les deux espèces coexistent dans les mêmes sols, parfois à quelques centimètres de distance. Grâce à la génétique, les chercheurs ont pu démontrer que ces deux espèces, quoique similaires en apparence, sont bien distinctes sur le plan biologique. Cette distinction ouvre la voie à de nouvelles recherches sur leurs éventuelles différences écologiques, comme la spécialisation sur certains types d’arbres ou de sols.
Une science de l’invisible mais essentielle
Ce travail de taxonomie moderne, qui combine observation de terrain et séquençage ADN, permet de rendre visible une biodiversité jusque-là cachée. Il révèle l’ampleur de notre ignorance face à des organismes qui jouent pourtant un rôle fondamental dans les équilibres écologiques.
Chaque nouvelle espèce identifiée enrichit notre compréhension du monde vivant et souligne la nécessité de préserver les milieux naturels complexes, comme les forêts primaires. Ces recherches permettent également de poser les bases d’une conservation éclairée, basée sur des données scientifiques solides.
Une alerte sur la transformation des paysages forestiers
Les scientifiques alertent : si des espèces comme Piloderma fugax n’ont jamais été identifiées jusqu’à présent, c’est probablement parce que leurs habitats ont déjà disparu dans de nombreuses régions. En remplaçant les forêts anciennes par des plantations uniformes, on efface des siècles de complexité écologique et, avec elles, des espèces entières.
La disparition de ces champignons ne signifie pas seulement une perte pour la science. Elle implique également des conséquences sur la résilience des forêts, leur capacité à absorber le carbone, à résister aux maladies, ou à soutenir d’autres formes de vie.
Ce que montre cette étude, c’est que même au sein d’un groupe supposé bien connu, des découvertes majeures restent possibles, à condition de s’y intéresser avec des outils adaptés et un regard neuf.
Source de l’étude : http://dx.doi.org/10.1016/j.funbio.2024.101531