En Alaska, un volcan sous la glace joue à cache-cache avec les scientifiques
Imaginez un volcan. Vous l’entendez gronder, le sol tremble, les arbres frémissent… Bref, vous avez le temps de prendre vos jambes à votre cou.
Sauf que certains volcans sont un peu… vicieux. Ils explosent sans prévenir, sans bruit, sans alerte. Ils passent sous les radars, littéralement. Ce sont les volcans furtifs. Et l’un des meilleurs exemples se trouve en Alaska, bien caché sous une carapace de glace. Son nom : Veniaminof.
Les volcanologues s’y intéressent de très près. Pas seulement parce qu’il est spectaculaire. Mais parce qu’il pourrait enfin révéler comment certaines éruptions arrivent sans le moindre signe annonciateur.
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Le volcan furtif, un muet qui fait beaucoup de dégâts
Le Veniaminof est tout sauf un petit cratère endormi. Depuis 1993, il a craqué treize fois. Treize éruptions recensées… mais seulement deux avaient été précédées de signaux assez clairs pour donner l’alerte.
Imaginez : en 2021, on ne s’est rendu compte qu’il avait explosé que trois jours après le début de l’éruption. Trois jours. Autant dire qu’il aurait pu surprendre n’importe quelle localité voisine… ou un avion.
Et pourtant, ce volcan est sous surveillance. Alors pourquoi reste-t-il aussi discret ?
Une équipe de chercheurs américains s’attaque au mystère
Une chercheuse de l’université de l’Illinois, Yuyu Li, a décidé de ne plus laisser Veniaminof jouer les timides. Avec son équipe, elle a construit un modèle numérique très poussé, en se basant sur l’éruption de 2018, l’une des plus furtives jamais enregistrées.
Leur idée ? Simuler toutes les combinaisons possibles : volume du réservoir de magma, vitesse à laquelle il se remplit, profondeur, forme, densité… Bref, ouvrir la boîte noire du volcan pour voir ce qui se trame à l’intérieur.
Un petit réservoir, un filet de magma, et voilà le tour est joué
Premier indice : le débit. Quand le magma monte doucement, petit à petit, il ne fait pas bouger le sol. Il ne provoque pas de séisme. Il passe en mode ninja.
Deuxième élément : la taille de la chambre magmatique. Si elle est petite, elle agit un peu comme une gourde : elle se remplit sans pression excessive, sans créer d’alerte.
Mais surtout, et c’est là que le modèle devient très malin, la température des roches autour du réservoir joue un rôle capital.
Quand ces roches sont déjà bien chaudes (chauffées par des décennies de magma intermittent), elles absorbent les tensions, elles s’adaptent.
Résultat : aucune secousse, aucune déformation visible, aucune alerte. C’est ce qu’on appelle un volcan prêt à exploser mais qui fait semblant de dormir.
Les volcans furtifs ne sont pas rares, et c’est bien le problème
Si Veniaminof intrigue autant, c’est parce qu’il n’est pas un cas isolé. Il a des cousins un peu partout :
- Popocatépetl, qui domine Mexico.
- Merapi, qui surplombe les villages de Java.
- Stromboli, star méditerranéenne avec un sacré caractère.
Tous ont un point commun : ils peuvent se réveiller sans dire bonjour. Pas très poli. Et très embêtant pour les centaines de milliers de personnes qui vivent à proximité. Sans parler des couloirs aériens que ces éruptions peuvent paralyser.
Alors, comment surveiller ce qu’on ne voit pas ?
C’est la grande question. Et la réponse, c’est la technologie, mais surtout la finesse des instruments.
Les chercheurs veulent désormais aller au-delà des classiques sismomètres. Ils parlent de :
- Tiltmètres (oui, c’est un vrai mot) pour mesurer les moindres inclinaisons du sol.
- Fibres optiques enterrées, qui agissent comme des oreilles hypersensibles.
- Infrasons, capables d’entendre des grondements que l’homme ne peut pas percevoir.
- Et même l’analyse des gaz à l’état de trace, pour repérer un dégazage furtif.
L’intelligence artificielle entre également en scène avec des algorithmes capables de repérer des signaux faibles, noyés dans la masse de données, plus rapidement que n’importe quel humain.
On passe donc d’un volcan muet… à un volcan suspecté.
Un volcan silencieux mais bavard dans les modèles
Les résultats de l’étude ont été publiés dans Frontiers in Earth Science. Et ils changent un peu la manière dont on voit ces “volcans silencieux”.
Grâce à cette modélisation très fine, les scientifiques peuvent maintenant identifier les 4 conditions qui mènent à une éruption furtive :
- Un faible apport de magma
- Un réservoir modeste
- Des roches chaudes autour
- Et une géométrie qui n’aide pas à créer des secousses
En somme, un cocktail parfait pour faire exploser un volcan sans prévenir qui que ce soit.
Liste non-exhaustive de volcans furtifs actifs dans le monde
Nom du volcan | Pays | Dernière éruption notable | Comportement typique | Risques associés |
---|---|---|---|---|
Veniaminof | États-Unis (Alaska) | 2021 (non détectée pendant 3 jours) | Éruptions fréquentes, faible signal sismique |
Ashes aériennes, infrastructure locale |
Popocatépetl | Mexique | 2024 | Activité quasi permanente, éruptions soudaines |
Zones habitées, trafic aérien dense |
Merapi | Indonésie | 2023 | Déclenchements rapides malgré faible activité en surface |
Villages en flancs de montagne |
Stromboli | Italie | 2022 | Activité explosive régulière, peu d’alertes préalables |
Tourisme, navigation, effondrements sous-marins |
Kanlaon | Philippines | 2020 | Détection difficile, gaz et cendres soudains |
Population rurale proche |
Source :
Front. Earth Sci., 10 June 2025
Sec. Volcanology
Volume 13 – 2025 | https://doi.org/10.3389/feart.2025.1535083
Image : Cônes intracaldeira de Veniaminof (source : Fratzke, Nathan — Alaska Volcano Observatory)