Cinq brise-glaces chinois dans l’Arctique : que cherche vraiment Pékin ?
La Chine vient de déployer une armada de cinq navires brise-glace géants à destination de l’Arctique, ce qui ne va pas sans poser quelques questions.
Une opération scientifique ? Sans doute. À visée stratégique ? Très probablement. Car dans l’Arctique, la glace fond et les ambitions géopolitiques grossissent depuis quelques années !
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Une armada polaire chinoise qui ne passe pas inaperçue
Le 5 juillet 2025, le Xue Long 2, le plus imposant brise-glace chinois construit en Chine, quittait Shanghai en direction des mers de Chukchi et de Beaufort, à la frontière des États-Unis et de la Russie. Ce navire de classe polaire 3, long de 122 mètres, est capable de fendre des glaces épaisses de 1,5 mètre en continu. Il ne navigue pas seul.
Depuis le 30 juillet, il est rejoint par le Shen Hai Yi Hao, un navire de recherche bardé de technologies : robots sous-marins, drones autonomes, submersible capable de descendre à 7 000 mètres. La Chine envoie ici une plateforme d’exploration océanographique complète, comme on poserait calmement une station scientifique dans une zone de tensions latentes.
Un ballet parfaitement synchronisé
Troisième pièce du puzzle : le Ji Di. Ce navire récemment mis en service par l’Administration océanique d’État chinoise se trouve désormais en mer de Béring. Sa destination présumée ? Arctic Bay sur l’île de Baffin, au Canada. On n’est donc plus seulement dans la sphère russo-américaine, mais bien dans une trajectoire panarctique.
La quatrième embarcation, le Zhongshandaxue Ji Di, a une histoire plus sinueuse. Longtemps sous pavillon canadien, puis russe, ce navire de 42 ans a été racheté par l’Université Sun Yat-sen. Il a franchi le détroit de Béring et rejoint l’Arctique après avoir quitté Nansha, au sud de la Chine, le 16 juillet. Lors de sa dernière expédition, il avait parcouru près de 21 300 kilomètres en deux mois.
Le Tan Suo San Hao : l’intrus qui inquiète
Le cinquième brise-glace est aussi le plus récent et le plus intrigant. Mis en service en décembre 2024, le Tan Suo San Hao a été conçu pour naviguer toute l’année dans les glaces épaisses, avec une certification classe polaire 4. Il est armé pour les explorations en eaux profondes, avec la capacité d’embarquer des submersibles habités.
Son activité a déjà soulevé des sourcils : en mai, il a stationné dans la zone économique exclusive des Philippines, au point que le pays a envoyé un de ses plus gros patrouilleurs pour l’intercepter. Il est désormais aux portes de l’Arctique, prêt à rejoindre ses congénères dans le nord de la mer de Béring.
Une réponse technologique déséquilibrée
Du côté américain, l’unique navire actuellement opérationnel dans la région est le USCGC Healy, un brise-glace de recherche vieillissant. Un second, le Storis, doit être mis en service à Juneau (Alaska) le 10 août, mais n’a pas encore pris la mer. En comparaison, la Chine opère ici avec cinq unités actives, toutes différentes, toutes complémentaires, et surtout, toutes alignées en une même direction.
La diversité de leurs équipements laisse peu de doute : caméras bathymétriques, drones, capteurs profonds, bras robotiques… Ces navires ne se contentent pas de casser la glace. Ils cartographient, analysent, sondent, modélisent. Derrière la raison purement scientifique, on devine l’ambition géopolitique.
Une nouvelle bataille des pôles
Car sous les banquises, il n’y a pas que des phoques et des krills. Il y a aussi du gaz, du pétrole, des minerais rares, des routes maritimes émergentes (comme la route maritime du Nord ) et… des zones de souveraineté disputées. L’ouverture progressive du passage du Nord-Ouest, à mesure que la glace recule, transforme l’Arctique en échiquier mondial.
La présence de la Chine, bien qu’extra-régionale, s’explique par sa stratégie officielle de « route de la soie polaire », définie depuis 2018. Elle n’est pas membre du Conseil de l’Arctique mais agit en observateur très actif. En 2023, Pékin a même signé un accord scientifique bilatéral avec Moscou sur l’exploration des plateaux continentaux nordiques. Cela tombe bien, car ces zones pourraient receler jusqu’à 90 milliards de barils de pétrole et 47 000 milliards de mètres cubes de gaz selon les estimations du US Geological Survey.
Parc des brise-glaces dans le monde en 2025
Pays | Nombre approximatif de brise-glaces | Commentaires |
---|---|---|
Russie | ≈ 57 (dont 9 nucléaires) | Plus grande flotte mondiale, unique pour ses brise-glaces nucléaires (notamment 4 de classe Arktika II) stratégie arctique très active. |
Canada | ≈ 18 | Flotte en expansion avec nouveaux programmes polaires prévus d’ici 2030. |
États-Unis | 3 actifs (autres en commande) | Capacités limitées aujourd’hui, programme de renouvellement en cours. |
Finlande | 10–11 | Flotte moderne et bien entretenue, acteur clé en Baltique. |
Suède | ≈ 5 | Flotte modeste, plusieurs unités dédiées à la Baltique. |
Danemark | 0 | Plus de brise-glace dédié, recours à des partenaires si nécessaire. |
Chine | ≈ 5 | Capacités polaires en croissance (dont Xue Long 2). |
Australie | 1 | RSV Nuyina, navire de recherche et logistique antarctique. |
Royaume-Uni | 1 | RRS Sir David Attenborough, brise-glace de recherche. |
France | 1 (+ 1 navire de croisière polaire) | Astrolabe (logistique antarctique) et Commandant Charcot (expédition/croisière). |
Chili | 1 (en construction) | Programme national pour opérations polaires à venir. |
Commentaires généraux :
- La Russie domine largement en nombre et capacités, avec une flotte nucléaire unique au monde.
- Le Canada renforce son dispositif avec plusieurs nouveaux chantiers, notamment via la coopération internationale.
- L’Europe du Nord (Finlande, Suède) maintient une flotte opérationnelle surtout centrée sur la mer Baltique et la Finlande a des chantiers experts dans la création de brise-glaces.
- Plusieurs pays hors Arctique (Chine, Australie, Royaume-Uni, France, Chili) développent un ou deux brise-glaces pour des missions polaires scientifiques ou logistiques.
- Le Danemark a une activité très limitée dans ce domaine alors que le pays possède le Groenland, sous tension.
Source : gcaptain.com
Image : Tan Suo San Hao, brise-glace conçu pour naviguer toute l’année dans les glaces épaisses, avec une certification classe polaire 4