L’ancêtre de tous les animaux ? Une éponge, molle et sans visage.
Elle ne parle pas, ne voit rien, ne bouge presque pas. Pourtant, elle pourrait bien être le premier animal de la planète.
Dans une étude publiée en septembre 2025, une équipe du MIT relance une idée fascinante : nos plus vieux ancêtres ne seraient ni vers, ni méduses, ni coraux, mais des éponges de mer. Oui, ces formes de vie presque immobiles qu’on imagine accrochées aux rochers, molles comme de la gélatine, mais bien vivantes.
Pour relancer le débat, nos scientifiques ont eu recours à la chimie, la géologie et un brin d’enquête policière moléculaire.
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Une signature fossile vieille de 635 millions d’années
Tout commence avec des cailloux. Pas n’importe lesquels : des roches très anciennes, trouvées en Oman, en Inde et en Sibérie. Les chercheurs les ont broyées, chauffées, dissoutes, pour y chercher des traces moléculaires laissées par des organismes vivants il y a plus de 600 millions d’années et dans cette soupe minérale, ils ont trouvés des stéranes à 30 et 31 atomes de carbone.
Ces molécules sont des “fossiles chimiques” : des restes de stérols, ces graisses essentielles à la structure des membranes cellulaires des êtres vivants. Chez l’humain, c’est le cholestérol. Chez les éponges, c’est une autre version, plus longue, plus rare.
L’enquête chimique : ce qu’on trouve dans la roche, dans l’éponge… et dans un labo
Pour être sûrs que ces traces venaient bien d’êtres vivants, et non d’un obscur processus géologique, l’équipe a tout repris depuis le début. Elle a étudié des éponges modernes : les mêmes stéranes étaient là. Elle a ensuite recréé les molécules en laboratoire, les a “vieillies” artificiellement comme si elles avaient été enfouies pendant des millions d’années, puis comparé le résultat avec les vraies roches. Deux des huit stéranes recréés correspondaient exactement.
Le retour des éponges dans la grande saga de l’évolution
Ce résultat renforce une idée déjà défendue en 2009 par la même équipe : les éponges seraient les premiers animaux apparus sur Terre, bien avant l’explosion de la vie complexe au Cambrien. Elles auraient précédé tous les autres groupes : les cnidaires, les mollusques, les vers, les arthropodes. Leur simplicité, longtemps vue comme un handicap, serait en réalité un vestige d’un passé profond.
À l’époque, beaucoup de scientifiques étaient sceptiques. D’autres organismes auraient pu produire des stéranes. Voire, les stéranes auraient pu se former sans vie. Cette nouvelle preuve renforce l’hypothèse biologique et redonne à ces formes de vie molles, sans bouche ni système nerveux, leur place dans l’arbre généalogique du vivant.
Un monde où les cailloux racontent l’histoire de la vie
Cette recherche notre manière d’appréhender la rechercher de la vie ancienne sur Terre, voire la vie “ailleurs”. En montrant qu’on peut authentifier des traces moléculaires vieilles de plusieurs centaines de millions d’années, elle ouvre la voie à d’autres découvertes.
Et si l’on trouve un jour un stérane à 31 carbones sur Mars ? Ce ne sera plus un simple caillou. Ce sera peut-être le signal muet d’un fossile alien.
En attendant, nos éponges terrestres conservent leur titre de pionnières et méritent, au fond, un peu plus de respect…
L’anecdote pour finir : certaines éponges vivent plus longtemps qu’un empire
Si les éponges sont discrètes, elles ont aussi un talent insoupçonné : la longévité. Dans certaines eaux froides et profondes, des espèces comme Monorhaphis chuni peuvent vivre plus de 11 000 ans. D’autres, en Arctique ou en Antarctique, atteignent aisément les 2 000 ans.
Ces créatures sont littéralement des monuments vivants. Leur croissance est lente, leur métabolisme minimaliste, et elles peuvent résister à des conditions extrêmes. Ce mode de vie, peu exigeant et très stable, explique sans doute pourquoi elles ont traversé les ères géologiques sans changer fondamentalement.
Elles n’ont pas besoin de courir, de penser ou de hurler. Elles filtrent, elles survivent. Et parfois, elles laissent des traces dans les roches.

Chiffres à retenir :
- Âge des roches analysées : jusqu’à 635 millions d’années
- Molécule fossile identifiée : stérane C31
- Origine probable : ancêtres des démosponges
- Longévité record connue d’une éponge : 11 000 ans
- Méthode : géochimie, biologie moléculaire, synthèse organique
Source :
Chemical characterization of C31 sterols from sponges and Neoproterozoic fossil sterane counterparts (en français : « Caractérisation chimique des stérols C31 des éponges et de leurs homologues fossiles stéranes du Néoprotérozoïque »)
L. Shawar, G.D. Love, B.T. Uveges, J.A. Zumberge, P. Cárdenas, J. Giner, & R.E. Summons
Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 122 (41) e2503009122, https://doi.org/10.1073/pnas.2503009122 (2025).
Image : Lever de soleil (Freepik)