Des scientifiques parviennent à prendre un laser pétawatt en photo.
Un rayon qui dure moins qu’un battement d’aile et pourtant, on sait enfin l’observer en un seul cliché ! Grâce à une idée lumineuse, au sens propre, un laser ultra-puissant vient d’être capturé intégralement, en temps réel, avec une précision époustouflante.
Ce petit miracle optique, baptisé RAVEN, pourrait bien transformer la recherche sur l’énergie de fusion, les accélérateurs de particules ou les plasmas.
Bienvenue dans les coulisses de la lumière extrême !
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Un outil pour prendre enfin les lasers ultra-puissants en photo
Quand on parle de lasers ultra-puissants, il faut s’imaginer des impulsions capables de faire trembler la matière. Littéralement. Ces rayons projettent des électrons à des vitesses proches de celle de la lumière en moins d’un milliardième de seconde (de l’ordre de femtosecondes). Ils servent à simuler l’intérieur des étoiles, à produire des réactions de fusion ou à sonder les lois fondamentales de l’univers. Leur puissance peut dépasser le pétawatt, soit mille milliards de watts.
Liste non-exhaustive des lasers les plus puissants du monde :
Nom du laser | Pays | Puissance maximale (petawatts) | Particularités principales |
Apollon | France | 10 | Laser à impulsions ultra-courtes, utilisé pour la physique des hautes énergies et la recherche fondamentale. |
Atlas-3000 | États-Unis | 3 | Laser ultra-puissant développé pour des applications militaires et scientifiques, très haute intensité. |
ZEUS | États-Unis | 2 | Laser ultra-court, premier tir en 2025, utilisé pour l’accélération d’électrons dans un plasma. |
Pétal | France | 1,2 | Couplé au Laser MégaJoule, utilisé pour la fusion inertielle et la recherche en physique des plasmas. |
SLAC Laser | États-Unis | 1 | Laser de classe pétawatt, utilisé pour explorer la physique quantique et les interactions lumière-matière. |
Laser Vulcan | Royaume-Uni | ~1 | Laser à haute puissance pour la recherche en physique des plasmas et applications industrielles. |
Le problème, c’est que ces lasers sont aussi insaisissables qu’un éclair dans un verre d’eau. Jusqu’à présent, les scientifiques devaient accumuler des centaines de tirs pour reconstituer, laborieusement, la structure d’un seul faisceau pour des résultats décevants : images brouillées, imprécises, trop lentes pour des phénomènes aussi fugaces.
Le coup d’œil de RAVEN
Le dispositif inventé par des chercheurs d’Oxford, en collaboration avec l’université Ludwig-Maximilian de Munich et le Max Planck Institute, s’appelle RAVEN, pour Real-time Acquisition of Vectorial Electromagnetic Near-fields.
On commence par diviser le rayon laser en deux. Une moitié passe dans un cristal qui sépare les différentes polarisations. L’autre analyse comment la couleur du faisceau varie dans le temps. Le tout est récupéré à travers une grille de microlentilles qui décomposent la forme d’onde comme une carte topographique de lumière.
Un détecteur optique capture l’ensemble des données d’un seul coup. Un logiciel alimenté par un réseau de neurones reconstruit alors l’image tridimensionnelle du rayon pour une photo complète d’un laser ultra-intense prise en une seule prise.
Des distorsions enfin visibles
Le premier test de cette technologie a été effectué sur l’ATLAS-3000, un laser classé dans la catégorie pétawatt. Grâce à RAVEN, les chercheurs ont pu repérer des déformations très fines du faisceau, appelées couplages spatio-temporels. Ces anomalies, invisibles auparavant, influent pourtant sur le bon déroulement des expériences à haute énergie.
Ces informations sont récupérées en temps réel. Cela signifie que l’on peut ajuster les paramètres du laser à la volée, pendant l’expérience, ce qui augmente la précision et la stabilité des résultats.
À la clé : un gain de temps colossal. Là où il fallait autrefois plusieurs heures pour obtenir un cliché utilisable, RAVEN fait le travail en une seule impulsion.
La fusion dans le viseur
Ce type de diagnostic rapide ouvre des perspectives impressionnantes. Par exemple dans les dispositifs de fusion inertielle, qui utilisent des lasers pour chauffer du combustible à des températures similaires à celles du cœur du Soleil.
Pour que cette réaction produise de l’énergie utilisable, il faut savoir exactement quelle intensité de laser arrive sur la cible. Un décalage de quelques microns, ou une polarisation mal contrôlée, peut faire échouer l’expérience. Grâce à RAVEN, ces paramètres deviennent mesurables à chaque tir, et donc optimisables.
On peut même imaginer des expériences encore plus ambitieuses : faire interagir deux rayons ultra-puissants dans le vide, dans l’espoir de provoquer un phénomène aussi étrange que le scintillement de photons sur eux-mêmes, un effet prédit par la théorie quantique.
Un outil simple pour une lumière extrême
Ce qui rend RAVEN encore plus remarquable, c’est sa simplicité apparente. L’un des co-auteurs, le Dr Andreas Döpp, explique que le déclic est venu d’une observation presque contre-intuitive : « les impulsions ultra-puissantes sont tellement confinées dans l’espace et dans le temps qu’elles n’ont pas besoin d’un système d’analyse trop complexe ».
Autrement dit, les microlentilles suffisent largement pour résoudre l’image complète du rayon. C’est ce qui a permis de réduire drastiquement la taille et la complexité de l’installation, tout en augmentant sa performance.
Le projet a pris forme lors d’un séjour de Sunny Howard, doctorant à Oxford, à Munich. Quelques mois plus tard, l’équipe disposait d’un outil capable de révéler la géométrie interne d’un faisceau lumineux d’une puissance extrême, un peu comme si l’on cartographiait un éclair au millimètre près.
Une nouvelle ère pour les lasers expérimentaux
Avec RAVEN, la caractérisation spatio-temporelle complète d’un rayon laser ne prend plus que quelques millisecondes. Ce changement d’échelle promet des retombées rapides dans plusieurs domaines :
- Physique des plasmas : meilleure stabilité des expériences
- Accélération de particules : contrôle plus fin des faisceaux
- Énergie de fusion : rendement plus élevé des réactions
- Optique quantique : tests de nouveaux effets fondamentaux
L’équipe souhaite maintenant tester le système dans d’autres installations laser de grande puissance. L’objectif est d’étendre cette méthode à des faisceaux encore plus énergétiques, voire à des configurations multi-rayons.
Pour le chercheur Peter Norreys, co-auteur de l’étude, le bénéfice est clair : « Là où les autres techniques prennent des centaines de tirs, RAVEN fonctionne en un seul, avec toutes les informations disponibles immédiatement. »
Source :
“Single-shot spatiotemporal vector field measurements of petawatt laser pulses” by Sunny Howard, Jannik Esslinger, Nils Weiße, Jakob Schröder, Christoph Eberle, Robin H. W. Wang, Stefan Karsch, Peter Norreys and Andreas Döpp, 26 juin 2025, Nature Photonics.
DOI: 10.1038/s41566-025-01698-x
Image : Illustration artistique de la technique RAVEN, qui mesure une impulsion lumineuse complexe à l’aide de micro-focalisations et de dispersion spectrale, avant de transmettre les données à un réseau de neurones pour les analyser (Nate Blackthorn).