Une soufflerie à Tokyo pour simuler l’enfer à 1 490 km/h.
À première vue, on croirait un jouet. Ce minuscule avion de 48 centimètres a pourtant foncé à Mach 1,4 – soit près de 1 500 kilomètres par heure, dans un tunnel étroit de 3 mètres sur 3. L’expérience s’est déroulée à Chofu, au cœur d’un quartier paisible de Tokyo, mais l’ambition, elle, vise les cieux américains.
Cette maquette représente 1,62 % du véritable X-59, un avion expérimental développé par la NASA pour une mission audacieuse : faire voler plus vite que le son sans fracasser les tympans des habitants au sol. Dans cette quête aéronautique, chaque micro-rafale dans la soufflerie compte.
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Un mini X-59 pour un défi de taille : vaincre le bang supersonique
Le X-59 à l’échelle réelle mesure 30,4 mètres de long et 9 mètres d’envergure. Impossible de le faire tenir dans la soufflerie japonaise. Les ingénieurs ont donc réduit sa taille à 48 centimètres tout en conservant sa forme profilée. L’idée derrière est de tester sa réponse aérodynamique à des vitesses supersoniques.
À Mach 1,4, l’air ne se comporte plus comme un fluide docile. Il génère des ondes de choc, ces fameuses perturbations qui provoquent les “bangs” soniques. Le X-59, grâce à un fuselage effilé et une aile très en arrière, cherche à dissocier ces ondes pour n’en laisser entendre qu’un simple “thump” sourd.
Des données essentielles pour valider la théorie
Cette série d’essais constitue le troisième passage du modèle en soufflerie, après une première à JAXA et une autre au centre Glenn de la NASA, dans l’Ohio. Les chercheurs y comparent les résultats obtenus avec ceux simulés par ordinateur.
On parle ici de dynamique des fluides numérique, une méthode complexe permettant de prévoir comment l’air s’écoulera autour de l’appareil. Et à cette vitesse, la moindre erreur de modélisation pourrait mettre en péril l’ambition de faire du supersonique une réalité civile.
Les coulisses d’un programme qui monte en puissance
Ce test en soufflerie n’est qu’une brique dans le mur de la préparation du vol inaugural. En décembre 2024, un événement marquant a eu lieu en Californie, sur le site de Lockheed Martin à Palmdale : le premier test moteur à pleine puissance. L’avion est resté cloué au sol, mais son cœur, un turboréacteur monté dans la carlingue, a rugi pour de bon.
Deux mois plus tôt, en octobre, les ingénieurs avaient effectué un pré-test pour détecter d’éventuelles fuites. Puis, au printemps 2025, des simulations complètes au sol ont permis de tester tous les sous-systèmes : capteurs, commandes, ordinateurs de vol… tout a été passé au crible.
Un objectif clair : voler au-dessus des villes sans déranger
Le programme X-59 s’inscrit dans la mission Quesst de la NASA, dont l’ambition est simple : rendre le vol supersonique acceptable socialement. Pour cela, le jet volera au-dessus de plusieurs villes américaines et les habitants seront invités à donner leur ressenti. Bruit ? Vibration ? Nuisance ?
Le projet veut démontrer que le “bang” du Concorde appartient au passé. Si le “thump” promis par le X-59 est suffisamment doux, il pourrait inciter les autorités à revoir l’interdiction du vol supersonique au-dessus des terres, en vigueur aux États-Unis depuis 1973.
Vers une renaissance du supersonique… mais sans fracas
Ce petit modèle de 48 centimètres, projeté à 1 490 km/h dans une boîte de verre japonaise, n’est pas qu’une prouesse technique. C’est un avant-goût de ce qui pourrait transformer l’aérien : un vol Paris-New York en 3 heures, sans que les vitres ne tremblent à Orléans ni que les chiens n’aboient à Poitiers.
Grâce à ces essais, les ingénieurs disposent désormais d’un référentiel aérodynamique précis, un outil précieux pour ajuster les prochains prototypes. L’industrie civile a les yeux rivés sur ce programme.
Le jour où l’on entendra un simple “pouf” au lieu d’un “boom” en levant les yeux, ce sera peut-être ce jouet de 48 centimètres testé à Tokyo qu’il faudra remercier.
Source : https://www.nasa.gov/aeronautics/x-59-model-tested-in-japanese-supersonic-wind-tunnel/
Image : On voit ici le modèle réduit du X-59 dans la soufflerie supersonique de la JAXA lors d’essais critiques liés aux prédictions sonores.