TRISO : le super-combustible nucléaire qui unit la France et l’Amérique.
Le 30 septembre 2025, Framatome et Standard Nuclear ont officialisé la création d’une coentreprise nommée Standard Nuclear–Framatome (SNF). La raison d’être de ce partenariat est de fabriquer à grande échelle un combustible encore peu connu du grand public, mais déjà très attendu dans les milieux du nucléaire avancé : le TRISO, pour Tri-structural Isotropic fuel.
Ici, les enjeux sont clairs : alimenter les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactor ou SMR dans la langue de Shakespeare), les microréacteurs, et les prototypes de demain avec un combustible plus sûr, plus stable et plus performant.
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Framatome se positionne sur le combustible nucléaire du futur : le TRISO
Le TRISO, c’est une bille de 1 mm au cœur de laquelle on trouve de l’uranium faiblement enrichi, encapsulé dans trois couches successives : du carbone pyrolytique, de la céramique, et encore du carbone.
Chaque particule est conçue comme un mini-conteneur nucléaire autonome. Même si le réacteur venait à perdre son refroidissement, les produits radioactifs resteraient piégés dans la bille.
Le TRISO résiste à des températures de 1 600 °C sans fondre, ce qui en fait le candidat idéal pour les réacteurs à haute température, les environnements extrêmes… voire les bases lunaires !
Une usine américaine et un savoir-faire français
La production est prévue dans l’usine de Framatome à Richland, dans l’État de Washington. Pour cela, une modification de licence (10 CFR Part 70) a été déposée auprès de l’autorité de sûreté américaine (NRC). Si tout se passe comme prévu, l’autorisation devrait arriver au printemps 2026, pour un démarrage de la production en 2027.
C’est un calendrier ambitieux, mais les deux partenaires misent sur leur complémentarité. D’un côté, Framatome apporte sa maîtrise industrielle, son expertise du cycle du combustible et son réseau. De l’autre, Standard Nuclear, une entreprise indépendante américaine, a conçu sa propre technologie TRISO, éprouvée sur une ligne pilote.
Le message est clair : ensemble, ils peuvent produire ce que personne ne peut faire seul.
De l’innovation et de la souveraineté
Derrière les mots « coentreprise », « fabrication » ou « chaîne d’approvisionnement », il y a un enjeu géopolitique évident. Produire du TRISO aux États-Unis, avec une entreprise européenne dans le cockpit, c’est aussi réduire la dépendance du monde occidental aux sources extérieures, notamment pour les combustibles nucléaires stratégiques.
Selon le PDG de Standard Nuclear, Kurt Terrani a déclaré : « Cette coentreprise renforce notre engagement d’être le principal fournisseur américain de combustible nucléaire avancé tout en renforçant la sécurité énergétique du monde occidental grâce à une production de combustible fiable pour tout type de réacteur. »
Ce partenariat vise donc à offrir une sécurité énergétique renforcée à l’occident, pour tous les types de réacteurs avancés. Pas uniquement les SMR civils, mais aussi les réacteurs militaires, les prototypes spatiaux, ou les microréacteurs destinés aux zones isolées.
Et avec deux tonnes de TRISO par an, on entre bel et bien dans une production commerciale, et non plus expérimentale.
Des clients déjà dans les starting-blocks
Le marché n’attendra pas. Plusieurs projets de réacteurs avancés sont déjà sur les rails : aux États-Unis, au Canada, en Corée, et même en Europe. Ce sont des systèmes plus petits, souvent modulaires, conçus pour fonctionner de manière autonome, en sécurité, et parfois sans personnel permanent sur site.
Dans tous ces cas, le TRISO coche toutes les cases : résistance thermique, sûreté passive, stabilité chimique, et capacité à fonctionner sous pression dans des conditions extrêmes.
Ajoutez à cela une structure granulaire qui empêche toute fusion du cœur… et vous obtenez un combustible qui inspire la confiance. Et ça, dans le nucléaire, ça vaut de l’or !
Un pari technique et stratégique
Oui, produire du TRISO, c’est difficile. Il faut des machines spécialisées, une métrologie de haute précision, et une traçabilité absolue. Ce n’est pas un carburant qu’on fabrique à la chaîne comme des crayons UO₂. C’est un peu la “haute couture” du combustible à fission nucléaire.
Mais là où il y a de de la difficulté, il y a souvent aussi une opportunité industrielle énorme. Le monde se prépare à construire des milliers de réacteurs plus petits, plus flexibles, plus déployables (probablement plus de 120 GW d’ici 2050). Et tous ces réacteurs vont avoir besoin… de carburant.
Avec cette coentreprise, Framatome et Standard Nuclear s’installent donc en leaders d’un marché émergent.
Comparaison entre TRISO, le MOX et le UO₂ enrichi
Critère | TRISO | MOX (Mixed Oxide) | UO₂ enrichi |
---|---|---|---|
Composition | Particules d’uranium enrichi encapsulées dans des couches de carbone et de céramique | Mélange d’uranium et de plutonium recyclé | Dioxyde d’uranium enrichi (UO₂) |
Température de fonctionnement | Jusqu’à 1 600 °C (réacteurs à gaz, microréacteurs) | 300 à 500 °C (réacteurs à eau pressurisée) | 300 à 500 °C (réacteurs conventionnels) |
Confinement des produits de fission | Très élevé (chaque particule est une mini-barrière) | Standard (barrière unique dans la gaine du crayon) | Standard (barrière unique dans la gaine du crayon) |
Utilisation principale | Réacteurs avancés, HTGR, microréacteurs, spatial | Réacteurs civils utilisant du plutonium recyclé | Réacteurs à eau pressurisée (PWR) classiques |
Avantages | Résiste à des températures extrêmes, très sûr, auto-confiné | Valorise le plutonium issu du retraitement | Technologie mature, maîtrisée à l’échelle industrielle |
Inconvénients | Fabrication complexe, coûteux à grande échelle | Présence de plutonium : gestion réglementaire stricte | Moins performant thermiquement, sensible aux pertes de confinement |
Sources :
- Communiqué de presse de Framatome
- https://carboncredits.com/the-ultimate-guide-to-small-modular-reactors
Image : Particule de combustible TRISO. Une enveloppe externe de carbone recouvre une couche de carbure de silicium, elle-même entourant une autre couche de carbone et le cœur en uranium, où se produit la fission libérant l’énergie.