Dans les abysses du passé, l’interaction entre l’homme et les cétacés tient une place à la fois mystérieuse et intrigante. Une récente étude utilisant la Zooarchéologie par Spectrométrie de Masse (ZooMS) dévoile un pan méconnu de l’histoire maritime européenne. Au travers des données archéologiques et paléontologiques, nous sommes invités à replonger dans une ère où les baleines régnaient en maître sur les eaux froides de l’Atlantique nord.
L’identité perdue des géants des mers
Grâce à la technologie ZooMS, les chercheurs ont pu identifier 623 spécimens à l’échelle des taxons de cétacés ou des groupes ZooMS. Cet ensemble représente à ce jour la collection la plus importante et la plus étendue de spécimens de fossiles de baleines. Un voyage dans le temps qui remonte jusqu’à l’âge de fer romain (environ 100 avant J.C. à 400 après J.C.) et le Moyen Âge (environ 400 à 1500 après J.C.).
L’étude révèle notamment une prédominance des Balaenidae (334 spécimens/46,5%) et de la baleine grise (110 spécimens/15,3%). Ces spécimens, retrouvés le long des côtes de l’Europe atlantique, dépeignent une carte maritime où les baleines grises et les Balaenidae (probablement des baleines franches de l’Atlantique Nord) étaient des majoritaires.
La chasse silencieuse du moyen âge
L’hypothèse soulevée par ces découvertes suggère que dès le Moyen Âge, les baleines n’étaient pas uniquement récupérées échouées sur les plages, mais étaient également chassées activement. La spécialisation dans la récolte de certaines espèces, révélée par les données ZooMS, appuie cette thèse. Elle propose également une chronologie de la chasse à la baleine, enracinée dans les cultures médiévales européennes, bien avant l’émergence de la chasse industrielle au XXe siècle.
Les chiffres indiquent un usage fréquent des baleines grises et des baleines franches de l’Atlantique Nord, dépeignant un tableau de prédilection dans la chasse et l’utilisation de ces géants marins. La distribution temporelle des spécimens éclaire une période où les activités baleinières humaines ont probablement contribué à la disparition progressive de ces espèces dans les eaux européennes.
Les témoins silencieux de la chasse ancienne à la baleine
Les résultats de l’étude soulèvent également des questions sur l’absence relative d’autres espèces de baleines dans les fossiles. Par exemple, la baleine à bosse, la baleine bleue ou encore la baleine commune sont peu représentées dans ces découvertes archéologiques, malgré leur abondance dans les eaux modernes. Une incohérence qui témoigne de la pression anthropique subie par certaines espèces au fil des siècles.
Les données archéologiques et paléontologiques, enrichies par les techniques modernes telles que la ZooMS, ouvrent une fenêtre sur un passé maritime méconnu. Elles nous invitent à revisiter l’histoire complexe de la relation entre l’homme et les baleines, une coexistence qui a façonné les rivages européens bien avant l’ère industrielle.
La compréhension de ces interactions anciennes est cruciale, non seulement pour revisiter notre histoire maritime, mais aussi pour envisager la conservation des cétacés dans un avenir où les échos du passé résonnent encore dans les profondeurs des océans.
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La technologie au service de l’étude du passé
La mise en lumière de ces interactions anciennes a été rendue possible grâce à l’avancée des technologies. La Zooarchéologie par Spectrométrie de Masse (ZooMS) a permis de distinguer et d’identifier les spécimens archéologiques avec une précision remarquable. Ce pas de géant technique conduit à une meilleure compréhension des époques révolues et de l’impact humain sur la faune marine.
Les cultures médiévales et les baleines
Les données ont dévoilé l’interaction entre sept cultures archéologiques distinctes et la chasse à la baleine. Six d’entre elles appartiennent à la période médiévale et suivent une séquence de potentiels foyers de chasse à la baleine le long des routes migratoires des E. glacialis et E. robustus dans les eaux européennes. L’analyse suggère des migrations annuelles côtières entre les zones de mise bas au sud et les zones d’alimentation au nord, en miroir aux comportements observés chez les baleines grises du Pacifique et les baleines franches de l’Atlantique Nord.
La septième culture, notablement antérieure, renvoie à la période néolithique et suggère que la chasse active à la baleine pourrait avoir des racines encore plus anciennes.
Les baleines : un héritage à préserver
La chasse à la baleine, autrefois vitale pour les communautés côtières, a laissé des traces indélébiles tant dans l’histoire culturelle que dans les écosystèmes marins. La disparition progressive et l’extinction de certaines espèces sont des chapitres sombres de notre histoire maritime. Ces découvertes soulignent l’importance de revisiter et de comprendre notre passé, pour mieux éclairer les actions de conservation future.
La collaboration entre l’archéologie, la paléontologie et les technologies modernes d’analyse ouvre de nouvelles voies pour explorer l’impact humain sur l’environnement à travers les âges. Il est impératif de tirer des leçons des erreurs du passé pour forger un avenir où la coexistence entre l’homme et les géants des mers est non seulement possible, mais harmonieuse.
Le voyage à travers les âges révèle une connexion profonde et souvent complexe entre l’humanité et les baleines. Les traces laissées par nos ancêtres sur les rivages de l’Europe Atlantique témoignent d’un héritage riche, à la fois fascinant et édifiant, sur l’interaction entre l’homme et la nature. Alors que nous naviguons dans les eaux troubles de la conservation marine, les leçons du passé se révèlent être des balises précieuses pour un avenir durable et respectueux de la biodiversité marine.
Source de l'étude : Youri van den Hurk, Fanny Sikström, Luc Amkreutz, Madeleine Bleasdale, Aurélia Borvon, Brice Ephrem, Carlos Fernández-Rodríguez, Hannah M. B. Gibbs, Leif Jonsson, Alexander Lehouck, Jose Martínez Cedeira, Stefan Meng, Rui Monge, Marta Moreno, Mariana Nabais, Carlos Nores, José Antonio Pis-Millán, Ian Riddler, Ulrich Schmölcke, Martin Segschneider, Camilla Speller, Maria Vretemark, Stephen Wickler, Matthew Collins, Marie-Josée Nadeau and James H. Barrett See fewer authors Published:13 September 2023https://doi.org/10.1098/rsos.230741