Un faisceau d’électrons inédit, cinq fois plus puissant
Les scientifiques du SLAC National Accelerator Laboratory viennent de réussir un tour de force : produire le faisceau d’électrons ultracourt le plus puissant au monde, avec un courant de crête cinq fois supérieur à celui des faisceaux similaires existants. Cette prouesse, décrite dans la revue Physical Review Letters, pourrait révolutionner plusieurs domaines scientifiques, de la chimie quantique à l’astrophysique en passant par la science des matériaux.
Claudio Emma, chercheur au SLAC et auteur principal de l’étude, est catégorique : « Non seulement nous avons réussi à produire un faisceau d’une telle puissance, mais nous pouvons aussi le contrôler avec une précision inédite. Cela nous permet d’explorer des phénomènes physiques et chimiques jamais observés auparavant. »
C’est quoi la différence entre un faisceau d’électron et un laser ?
Chez Media24.fr, nous adorons vous parler de lasers les plus puissants du monde (surtout quand ils sont français) mais nous parlons bien ici d’un faisceau d’électron et pas d’un laser alors, quelle différence ?
Un faisceau d’électrons est un regroupement d’électrons accélérés et dirigés dans une même direction, généralement à l’aide de champs électriques et magnétiques, et utilisé sous vide pour éviter leur dispersion. Ce type de faisceau transporte de l’énergie sous forme de particules chargées et sert notamment en microscopie, soudage ou recherche scientifique. À la différence d’un laser, qui est un faisceau de lumière composé de photons cohérents, monochromatiques et très directifs, le faisceau d’électrons est constitué de particules matérielles et non de lumière. Un laser peut traverser l’air sur de longues distances sans trop de pertes, tandis qu’un faisceau d’électrons doit être utilisé sous vide car il perd rapidement son énergie dans l’air. Enfin, les deux types de faisceaux peuvent concentrer une énergie très élevée, mais leur nature physique et leurs interactions avec la matière sont fondamentalement différentes.
Des exemples d’applications pour le laser et le faisceau d’électron :
Applications des faisceaux d’électrons :
Microscopie électronique : permet d’observer des structures à l’échelle atomique, bien au-delà des capacités de la lumière visible.
Soudage par faisceau d’électrons : utilisé dans l’aéronautique et l’industrie pour assembler des pièces métalliques avec une grande précision et une faible zone affectée thermiquement.
Lithographie électronique : sert à graver des motifs extrêmement fins sur les puces électroniques lors de la fabrication de semi-conducteurs.
Stérilisation de matériel médical : les faisceaux d’électrons détruisent efficacement les micro-organismes sans chaleur.
Traitement de matériaux : modification des propriétés de polymères ou durcissement de revêtements par irradiation.
Applications des lasers :
Découpe et soudage de matériaux (métaux, plastiques, composites) dans l’industrie automobile, aéronautique ou électronique, grâce à leur précision et rapidité.
Marquage et gravure pour l’identification, la traçabilité et la personnalisation de pièces industrielles ou de produits de consommation.
Fabrication additive (impression 3D métal ou plastique) pour créer des pièces complexes couche par couche.
Mesures et instrumentation, comme la spectroscopie laser pour l’analyse chimique ou environnementale.
Applications médicales, telles que la chirurgie oculaire (LASIK), la dermatologie ou la dentisterie.
Un équilibre délicat entre puissance et qualité
Jusqu’ici, l’un des grands défis en physique des accélérateurs était d’augmenter la puissance des faisceaux d’électrons tout en préservant leur qualité. Comme souvent en physique, on se heurtait à un compromis difficile : plus un faisceau est comprimé et puissant, plus il perd en qualité à cause du rayonnement émis par les électrons en accélération.
Traditionnellement, on utilise un champ électromagnétique pour accélérer et compresser les électrons. Ceux-ci sont décalés en énergie : les électrons situés à l’arrière possèdent plus d’énergie que ceux à l’avant, un peu comme les coureurs d’un 400 mètres placés en quinconce sur la ligne de départ. En les envoyant dans une courbe, on permet aux électrons de l’arrière de rattraper ceux de l’avant, formant ainsi un faisceau compact et concentré.
Mais voilà le problème : cette accélération s’accompagne d’une émission de rayonnement, ce qui fait perdre de l’énergie aux électrons et détériore le faisceau.
Des lasers à la rescousse
Les chercheurs du SLAC ont trouvé une solution astucieuse : au lieu d’utiliser un champ électromagnétique classique, ils ont exploité une technique issue des lasers à électrons libres utilisés dans la Linac Coherent Light Source (LCLS). Grâce à un modelage laser ultra-précis, ils ont pu compresser des milliards d’électrons sur une longueur inférieure à un micromètre.
« L’avantage du laser, c’est qu’il permet une modulation énergétique bien plus précise qu’un champ électromagnétique traditionnel », explique Emma.
Mais attention, la mise en œuvre n’a rien d’un jeu d’enfant ! Imaginez une machine d’un kilomètre de long où l’interaction laser-faisceau ne se produit que sur les dix premiers mètres. Il faut façonner le faisceau à cet instant précis, puis le transporter sur un kilomètre sans perdre sa modulation et enfin le comprimer à l’arrivée. Un défi technique énorme qui a nécessité des mois d’ajustements.
Un outil révolutionnaire pour la science
Avec ce faisceau d’électrons ultra-puissant et ultra-court, les scientifiques peuvent maintenant sonder des phénomènes physiques inaccessibles jusque-là.
En astrophysique, il devient possible de reproduire en laboratoire les filaments de plasma observés dans les étoiles. Ces structures sont connues des chercheurs, mais jusqu’à présent, il était impossible d’en tester l’apparition et l’évolution dans des conditions réalistes. Avec ce faisceau, c’est désormais envisageable.
Les chercheurs de FACET-II ont également utilisé ce faisceau pour améliorer la technologie des accélérateurs à champ de sillage plasmatique, une piste prometteuse pour concevoir les accélérateurs de particules du futur.
Et ce n’est que le début ! Emma et son équipe comptent aller encore plus loin en compressant encore plus ces faisceaux afin de produire des impulsions lumineuses d’une durée de l’ordre de l’attoseconde (un milliardième de milliardième de seconde). Une telle avancée permettrait d’améliorer encore les capacités de la LCLS et d’ouvrir la voie à des recherches inédites.
« Imaginez un appareil photo ultrarapide qui capture des phénomènes fugaces à une échelle inédite. Si nous arrivons à produire ces impulsions attosecondes, nous disposerons d’un double outil d’investigation complémentaire : d’un côté un faisceau d’électrons pour observer la matière, et de l’autre un faisceau lumineux pour capturer les détails ultra-fins de ces phénomènes », précise Emma.
Le message est clair : les chercheurs du monde entier sont invités à venir tester leurs idées sur ce nouveau jouet scientifique. « Si vous avez besoin d’un faisceau extrême, nous avons ce qu’il vous faut. Travaillons ensemble ! » conclut Emma.
Les plus puissants faisceaux d’électrons du monde
Rang | Installation / Projet | Pays | Caractéristique principale | Commentaire |
1 | FACET-II (SLAC) | États-Unis | Faisceau ultracourt, courant record | A récemment produit le faisceau d’électrons ultracourt le plus puissant au monde, avec un courant de crête cinq fois supérieur à tout autre, ouvrant la voie à de nouvelles recherches en physique, chimie et astrophysique. |
2 | European XFEL | Allemagne | 17,5 GeV, 3,4 km de long | Ce laser à électrons libres génère des faisceaux d’électrons ultra-énergétiques utilisés pour produire des rayons X intenses, servant à la recherche sur la matière à l’échelle atomique. |
3 | LCLS (Linac Coherent Light Source) | États-Unis | Faisceaux à haute brillance | Installé au SLAC, il permet des expériences de pointe grâce à ses faisceaux d’électrons accélérés à haute énergie pour générer des impulsions lumineuses attosecondes. |
4 | CERN AWAKE | Suisse | Accélération plasma innovante | Ce projet expérimental vise à produire des faisceaux d’électrons très énergétiques via l’accélération par champ de sillage plasma, ouvrant la voie à une nouvelle génération d’accélérateurs compacts. |
5 | Vivitron | France | 25 MV, accélérateur électrostatique | Ancien accélérateur Van de Graaff géant, il a permis de produire des faisceaux d’électrons à très haute tension pour des expériences en physique nucléaire et fondamentale. |
Source de l’étude :
Experimental Generation of Extreme Electron Beams for Advanced Accelerator Applications
C. Emma, N. Majernik, K. K. Swanson, R. Ariniello, S. Gessner, R. Hessami, M. J. Hogan, A. Knetsch, K. A. Larsen et al.
Phys. Rev. Lett. 134, 085001 – publié le 27 février 2025
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevLett.134.085001
Image : Linac Coherent Light Source (LCLS) par Christopher Smith/SLAC National Accelerator Laboratory
Pertinent..bravo