Pourquoi dit-on “soixante-dix” en France, mais “septante” en Belgique ?

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Le français n’a jamais été une langue uniforme. Et lorsqu’il s’agit de compter, les différences sautent aux yeux. Tandis qu’en France, on dit soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix, les Belges et les Suisses préfèrent septante, huitante ou nonante. Ce n’est pas un caprice régional : c’est le résultat d’une construction historique, linguistique et politique, aux racines profondes.

Un système français basé sur le 20

Le français de France utilise une numération dite vicésimale, c’est-à-dire basée sur 20. Dire quatre-vingts, c’est littéralement “4 fois 20”. Cette logique n’est pas née dans les salons de Versailles, mais bien dans les traditions celtes et gauloises.

Ces peuples avaient une habitude bien particulière : compter avec les doigts… et les orteils. Une main, dix unités. Deux pieds, vingt. Le paquet de vingt devient alors une unité de base familière.

On retrouve cette trace jusque dans le nom d’un hôpital parisien : les Quinze-Vingts, fondé sous Saint Louis, qui accueillait 300 patients (15 fois 20).

Même dans la littérature classique, l’héritage subsiste. Molière et Joinville utilisent six-vingts, trois-vingts, onze-vingts. Le breton, langue d’origine celtique, dit daou-gent pour quarante (2 fois 20). L’expression six vingts colonnes est encore employée par Bossuet pour décrire l’architecture égyptienne.

Le système décimal : une progression plus régulière

À l’inverse, le français de Belgique et de Suisse repose sur une logique décimale, autrement dit fondée sur une progression linéaire par dizaines.

Soixante-dix devient septante, quatre-vingts devient huitante ou reste quatre-vingts, et quatre-vingt-dix devient nonante. Ce système est hérité du latin : septanta, octanta, nonanta.

Il est plus intuitif pour l’apprentissage. Une suite comme soixante, septante, quatre-vingts, nonante suit une structure visible, claire, et surtout cohérente.

Ce n’est pas une invention récente. Ces formes ont coexisté avec les autres pendant des siècles, jusqu’à ce que la France choisisse officiellement de s’en écarter.

Une décision politique et grammaticale

Pourquoi la France a-t-elle opté pour ce système plus complexe ? La réponse se trouve au XVIIe siècle.

À cette époque, l’Académie française, guidée par les recommandations de grammairiens comme Vaugelas et Ménage, normalise l’usage de la langue dans un but de cohérence politique et centralisateur.

Les formes soixante-dix et quatre-vingt-dix s’imposent dans l’administration royale, dans la littérature, puis dans l’ensemble du territoire. La centralisation linguistique est renforcée au moment de la Révolution, lorsque la République adopte le système métrique.

Le français de Paris devient la norme. Même si cette norme n’est pas toujours la plus facile à comprendre, elle s’impose. Elle est enseignée dans les écoles, utilisée dans les textes officiels, et relayée dans les médias.

Enseigner “quatre-vingt-dix” : un casse-tête

Ce système à base de 20 pose aujourd’hui de véritables défis pédagogiques.

Les enseignants eux-mêmes le reconnaissent. Expliquer à un élève que soixante-dix c’est 60 + 10, puis que quatre-vingt-dix c’est 4 fois 20 + 10, demande des efforts supplémentaires.

Il faut aussi gérer les règles d’accord spécifiques : on écrit quatre-vingts avec un “s” quand il n’est pas suivi d’un autre nombre, mais quatre-vingt-trois sans “s”. Et les liaisons ne sont pas toujours intuitives : vingt ans, mais quatre-vingts ans

Pour un non-francophone, l’apprentissage est encore plus complexe. Ce système est source d’incompréhensions et nécessite des explications multiples.

Les raisons de la stabilité suisse et belge

Contrairement à la France, la Belgique et la Suisse n’ont pas imposé le modèle parisien.

Leurs institutions éducatives ont, au contraire, privilégié la régularité décimale. Ce choix s’inscrit dans une volonté de clarté, mais aussi dans une histoire différente du français dans ces régions.

En Belgique, le français s’est structuré en parallèle de l’influence flamande et allemande. Il s’est stabilisé comme variante normée, avec ses propres usages reconnus par l’enseignement, la justice et l’administration. Même chose en Suisse, où les pratiques linguistiques sont marquées par le multilinguisme et le pragmatisme.

Dire “septante” n’est donc pas une simplification récente. C’est le maintien d’une tradition décimale plus logique, qui a simplement évolué dans un cadre différent de celui imposé par Paris.

Une anecdote peu fiable, mais révélatrice

Une hypothèse amusante circule : Louis XIV aurait refusé de devenir septuagénaire. Il aurait exigé qu’on dise soixante-dix pour ne pas sortir de la soixantaine.

Rien ne permet de confirmer cette version. Mais elle illustre la dimension symbolique et politique que peut prendre un simple mot, surtout dans une langue aussi normée que le français.

Ce que révèle cette divergence

Dire soixante-dix ou septante, ce n’est pas juste une affaire de vocabulaire. C’est le reflet d’un héritage celtique, d’une réforme académique, d’une centralisation républicaine, mais aussi d’une résistance régionale ou nationale à une logique imposée.

Le français n’est pas une langue monolithique. Et dans ce domaine, comme dans d’autres, le choix des mots raconte une histoire bien plus vaste que leur seule signification.

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Eric GARLETTI
Eric GARLETTIhttps://www.eric-garletti.fr/
Je suis curieux, défenseur de l'environnement et assez geek au quotidien. De formation scientifique, j'ai complété ma formation par un master en marketing digital qui me permet d'aborder de très nombreux sujets.

2 Commentaires

  1. Interressant! Mais du coup, pourquoi soixante-dix et pas trois vingt dix! Idem avec cinquante pourquoi pas quarante -dix ou mieux deux vingt dix?

  2. Tout d’abord première chose le drapeau de gauche n’est pas du tout le drapeau belge deuxième chose j’habite la province du Hainaut et je n’ai aucun accent il paraît que j’ai l’accent de la ville de Tours mais comme je ne sais pas du tout à quoi cela ressemble en tout cas mes parents n’avaient pas d’accent non plus et mon père était français. Je pense qu’il y a non seulement les accents mais aussi des personnalités des Français à savoir ceux du Sud qui sont très extravertis et ceux du Nord qui sont très généreux je ne connais pas très bien la mentalité des autres je les place donc sous votre appréciation !
    Ceci étant dit, voilà un sujet véritablement intéressant et peut-être à mon goût, pas assez fouillé ! 🇧🇪🇫🇷

    Une Franco Belge

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