Comment une start-up veut ressusciter les déchets nucléaire américain.
On l’oublie souvent, mais les États-Unis sont littéralement assis sur un trésor radioactif. Ce trésor, ce sont les 94 000 tonnes de combustible usé (le plus grand du monde) qui dorment un peu partout, stockées dans des piscines ou des silos secs autour des centrales nucléaires du pays. À première vue, ça ressemble à un héritage embarrassant, voire une épine dans le pied mais en y regardant de plus près, c’est une mine d’énergie inexploitée.
Dans ces “déchets”, il reste encore 95 % de matière exploitable. De l’uranium. Du plutonium. Des isotopes prêts à repartir pour un tour, à condition de savoir les traiter. Et c’est justement ce que propose Oklo, une jeune entreprise américaine pleine d’idées (et désormais pleine d’investisseurs).
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L’entreprise Oklo lance un pari nucléaire à 1,68 milliard de dollars dans le Tennessee
Oklo a annoncé la création d’un centre de recyclage nucléaire pas comme les autres. Ce sera le premier aux États-Unis à être entièrement financé par le privé.
Le site sera installé à Oak Ridge, dans le Tennessee. Pas vraiment un hasard quand on sait que c’est là que le projet Manhattan est né pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi là qu’on retrouve l’un des plus gros viviers de compétences nucléaires du pays.
1,68 milliard de dollars (1,43 milliards d’euros) seront injectés dans cette usine, qui devrait employer plus de 800 personnes. Objectif : transformer les déchets des anciennes centrales en nouveau carburant pour les réacteurs avancés, modèle Aurora développés par Oklo lui-même.
Des gigawatts planqués dans les déchets
Selon les estimations, le stock de combustible usé américain contient l’équivalent énergétique de 1,3 billion de barils de pétrole (1300 milliards). Autrement dit, cinq fois plus que toutes les réserves de l’Arabie saoudite réunies. On ne parle pas de quelques ampoules qui brilleraient une nuit, mais d’une ressource colossale capable d’alimenter le pays pendant des décennies.
En recyclant, on réduirait en outre de 90 % le volume des déchets à stocker à long terme. Moins de déchets, moins de risques, moins de frais de stockage.
Une première pour une entreprise privée américaine
Le projet présentera une autre singularité puisque ce sera également la première fois qu’une entreprise privée recycle le combustible d’un fournisseur d’électricité. En l’occurrence, la Tennessee Valley Authority (TVA), qui alimente des millions d’Américains dans le sud-est du pays.
Le patron de la TVA, Don Moul, résume bien l’enjeu :
“La nouvelle génération de technologies nucléaires est en train de se construire dans notre propre jardin.”
C’est toute une filière, de la récupération à la refabrication, qui pourrait émerger dans les prochaines années. Un cycle complet. Une chaîne d’approvisionnement nationale, souveraine et propre.
Une course contre le calendrier réglementaire
Évidemment, dans le nucléaire, rien ne se fait en claquant des doigts. Il faut obtenir les autorisations de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), soumettre des plans, valider la sécurité à chaque étape.
En juillet, l’entreprise a terminé une revue préliminaire de sa demande de licence, et prépare la suite. Si tout se passe comme prévu, la production de combustible recyclé pourrait commencer au début des années 2030.
En parallèle, l’entreprise continue de développer ses propres petits réacteurs modulaires. L’idée est claire : produire l’énergie propre, locale et fiable que réclament déjà les centres de données, les bases militaires ou les régions isolées.
Une vision nucléaire connectée au numérique
En juillet, Oklo s’est de plus associée avec Vertiv, un spécialiste de l’infrastructure pour centres de données. Objectif : marier production d’énergie nucléaire compacte et refroidissement intelligent. En clair, proposer des blocs énergétiques clés en main pour les géants du cloud, alimentés par du recyclage nucléaire.
Même les connexions humaines évoluent. Sam Altman, l’ex-patron d’OpenAI, a quitté la présidence du conseil d’administration d’Oklo en avril dernier. Officiellement, pour éviter les conflits d’intérêts. Officieusement ? Parce qu’Oklo est en train de se rapprocher de géants technologiques pour intégrer ses réacteurs dans des solutions énergétiques à très grande échelle.
Pays avec les plus grandes quantités de déchets nucléaires (en tonnes de combustible usé ou équivalent)
Pays | Combustible usé estimé (t) | Nombre de réacteurs civils en service | Remarques principales |
États-Unis | +94 000 t | 93 | Stocké sur site. Pas de retraitement industriel depuis les années 1970. |
France | +23 000 t | 56 | Recyclage partiel à La Hague. Déchets ultimes vitrifiés. |
Russie | +21 000 t | 37 | Recyclage partiel, stockage en Sibérie et à Mayak. |
Japon | +17 000 t | 33 (dont plusieurs à l’arrêt) | Beaucoup de déchets en attente de retraitement à Rokkasho. |
Allemagne | +11 000 t | 3 (en démantèlement progressif) | Arrêt du nucléaire. Stockage en surface et à Konrad. |
Canada | +6 600 t | 19 | Surtout des combustibles CANDU. Stockés à sec. |
Royaume-Uni | +5 000 t | 9 (fin progressive) | Retraitement à Sellafield. Déchets en entreposage intermédiaire. |
Chine | +3 000 t (estimation) | 55 | Croissance rapide. Déchets stockés sur site pour l’instant. |
Ukraine | +2 800 t | 15 | Déchets stockés à Zaporijia, Tchernobyl, Rivne, etc. |
Corée du Sud | +1 600 t | 24 | Stockage temporaire sur site. Projet de dépôt géologique repoussé. |
Source : https://oklo.com/newsroom/news-details/2025/Oklo-Announces-Fuel-Recycling-Facility-as-First-Phase-of-up-to-1-68-Billion-Advanced-Fuel-Center-in-Tennessee/default.aspx
Image : Centre avancé du combustible d’Oklo (Image : Oklo)