La lubie d’un Anglais visionnaire qui pourrait sauver le monde.
Arthur Watkins avait une obsession dans les années 1920. Ce jeune chercheur britannique en sciences agricoles s’était mis en tête de collecter des échantillons de blé venus du monde entier. Une idée qui paraissait saugrenue à l’époque.
Un peu plus d’siècle plus tard, cette collection se révèle être une véritable mine d’or génétique. Une équipe de recherche britanno-chinoise est parvenu l’an dernier à séquencer l’ADN de 827 variétés de blé issues de l’inventaire de Watkins.
Cette prouesse ouvre des perspectives extraordinaires pour nourrir une planète surpeuplée.
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La sécurité alimentaire du monde pourrait passer par la collection accumulée par un anglais il y a un siècle
La population mondiale a franchi le cap des 8,2 milliards d’habitants en 2025 selon l’ONU, un chiffre qui donne le vertige quand on songe que nous n’étions que 2,5 milliards en 1950. Cette croissance reste spectaculaire, mais le rythme ralentit : aujourd’hui la courbe, autrefois comme une fusée, commence à fléchir en raison du recul de la fécondité dans de nombreux pays. Les projections s’accordent sur un pic attendu entre 10 et 10,5 milliards d’humains d’ici 2080 à 2100 avant une stagnation, voire une légère diminution. C’est en Afrique que les hausses seront les plus marquées, avec une population qui devrait doubler en moins de cinquante ans. L’Europe et l’Asie orientale, elles, verront parfois leur nombre d’habitants diminuer. Si les estimations sont plus basses qu’elles ne furent un temps (on a parlé longtemps d’un pic à 12 voire 15 milliards), reste qu’il faudra nourrir cette population et certaines régions les plus soumises à cette pression démographique pourraient en souffrir si aucune solution n’est trouvée.
C’est là que l’idée d’un anglais en 1920 prend tout son sens.
Le collectionneur de 1920 qui sauve l’humanité ?
L’idée d’Arthur Watkins était révolutionnaire pour son époque. Il avait compris que la diversité génétique du blé s’érodait rapidement et qu’il fallait absolument empêcher cette perte.
Plus la science des plantes est devenue précise, plus les variétés présentant des propriétés jugées “inutiles” ont été mises de côté. L’agriculture moderne a privilégié quelques variétés performantes au détriment de la diversité. C’est une norme qu’on retrouve malheureusement sur de nombreuses denrées alimentaires comme les bananes, le café et pour ce qui nous intéresse aujourd’hui : le blé.
Du Croissant fertile à la planète entière
L’histoire du blé commence il y a 10 000 ans dans le Croissant fertile, au Moyen-Orient. Les hommes ont ensuite emmené cette plante partout où ils se sont installés, créant au fil des siècles une diversité remarquable adaptée à chaque environnement local.
Cette diversité naturelle recèle des caractéristiques absentes du blé moderne. Résistance au froid, tolérance à la salinité, immunité contre certains parasites : autant de propriétés que l’agriculture industrielle avait abandonnées.
Une calorie sur cinq vient du blé
Le blé représente aujourd’hui une calorie sur cinq consommée dans le monde. Avec l’augmentation de la population mondiale, les besoins en cette céréale explosent. La collection de Watkins pourrait bien détenir les solutions.
En connaissant précisément la composition génétique de toutes ces variétés, les scientifiques disposent désormais de tous les outils pour adapter les plantations au sol et à l’environnement. Certaines espèces poussent dans des sols salés, d’autres résistent mieux aux maladies ou à la sécheresse.
Un génome titanesque à décrypter
Si les chercheurs ont mis du temps à séquencer l’ADN de ces variétés, c’est que le génome du blé défie l’imagination. Cette plante contient 17 milliards d’unités d’ADN, soit près de six fois plus que l’être humain avec ses 3 milliards d’unités.
Le séquençage ADN classique ne suffisait pas pour une telle entreprise. Il a fallu attendre qu’un chercheur chinois, Shifeng Cheng, accepte de relever ce défi colossal. L’opération a nécessité trois mois de travail intensif.
Des disques durs pleins d’espoir
Le résultat ? Plusieurs dizaines de disques durs contenant un petabyte de données ADN (soit un million de gigaoctets d’informations génétiques). Cette bibliothèque numérique représente un trésor inestimable pour l’agriculture de demain.
La collection permet de revenir en arrière dans l’évolution du blé. Elle contient des variétés qui n’existent plus dans la nature, dont les caractéristiques intéressantes vont pouvoir être réintégrées dans des espèces modernes bien plus résistantes.
L’arme secrète contre la famine
Cette mine d’or génétique pourrait bien représenter l’arme secrète de l’humanité contre la famine.
Avec le changement climatique qui bouleverse les conditions de culture et une population mondiale qui continue de croître, ces variétés anciennes offrent des solutions concrètes. Elles permettront de créer des blés sur mesure, adaptés aux défis de chaque région du globe.
L’obsession d’un chercheur des années 1920 pourrait finalement sauver des millions de vies un siècle plus tard !
Source :
Harnessing landrace diversity empowers wheat breeding. (en français : “Exploiter la diversité des variétés locales renforce l’amélioration du blé”)
Cheng, S., Feng, C., Wingen, L.U. et al. Nature 632, 823–831 (2024).
https://doi.org/10.1038/s41586-024-07682-9
Image : Femme dans un champ d’été. Brunette dans un pull marron (Freepik).