Vers des ordinateurs quantiques à mémoire perpétuelle ?
Des chercheurs européens viennent de franchir une étape majeure dans le domaine de la physique quantique en parvenant à connecter pour la première fois un cristal temporel à un système extérieur, ouvrant la voie à une nouvelle génération de dispositifs quantiques.
Cette avancée a été réalisée par l’Université Aalto, en Finlande, au sein du Low Temperature Laboratory, une structure unique au monde pour l’étude des milieux extrêmes. Le cristal ainsi obtenu pourrait servir à concevoir des mémoires quantiques à très longue durée de vie, des capteurs hyperse nsibles, ou même des outils pour manipuler la matière au bord du monde quantique.
Lire aussi :
- Ce nouveau record du pays de Galles ouvre un pont entre 2 mondes physiques irréconciliables : la relativité générale et la mécanique quantique
- L’Australie parvient à “cloner” un atome dans une intrication quantique sans précédent dans l’histoire qui ouvre la voie à l’informatique du futur
Une équipe finlandaise parvient pour la première fois à connecter un cristal temporel
Le concept de cristal temporel a été proposé en 2012 par Frank Wilczek, prix Nobel de physique. Il ne s’agit pas d’un cristal fait de matière figée dans l’espace, comme un diamant, mais d’un objet structuré dans le temps. En clair : ses composants se déplacent selon un rythme régulier, sans aucune dépense d’énergie, même dans leur état de plus basse énergie.
C’est une sorte de mouvement perpétuel autorisé par la mécanique quantique, à condition de ne pas observer directement le système ou de l’exciter artificiellement.
Des cristaux temporels ont déjà été créés ces dernières années, notamment en 2021 dans le processeur quantique Sycamore de Google. Mais ils restaient isolés du monde extérieur, car toute tentative d’interaction brisait leur équilibre.
Pour la première fois : une connexion à l’extérieur
L’exploit de l’équipe finlandaise est d’avoir réussi à lier ce cristal du temps à un oscillateur mécanique, sans rompre sa cohérence.
Plus concrètement, ils ont injecté des magnons, sortes de quasi-particules magnétiques, dans un superfluide d’hélium-3 refroidi à une température proche du zéro absolu. Une fois la pompe radio arrêtée, les magnons se sont organisés en cristal temporel, oscillant pendant plusieurs minutes, un record.
Pendant que le signal s’atténuait progressivement, le cristal s’est mis à réagir à un oscillateur placé à proximité, un peu comme deux pendules qui se synchronisent. Ce couplage n’avait jamais été observé auparavant.
Une interaction optomécanique dans le temps
Une interaction optomécanique désigne le couplage entre la lumière (champ optique) et le mouvement mécanique d’un objet microscopique, comme une membrane ou un résonateur.
Elle permet à la lumière de contrôler ou mesurer les vibrations mécaniques via la pression de radiation des photons.
Le comportement observé lors des expériences ressemble fortement à d’autres phénomènes optomécaniques bien connus, comme ceux utilisés dans les détecteurs d’ondes gravitationnelles (type LIGO) sauf qu’ici, l’interaction se produit dans la durée, avec un cristal qui vibre dans le temps.
En langage plus commun, cela signifie qu’il est désormais possible d’ajuster certaines propriétés du cristal temporel, fréquence, stabilité, durée de vie, en jouant sur l’environnement mécanique. C’est une véritable passerelle entre le monde quantique auto-organisé et le monde physique classique !
Applications : mémoire, mesure, calcul
Selon les auteurs, cette nouvelle classe de cristaux pourrait remplacer certains composants critiques des ordinateurs quantiques actuels, notamment les mémoires, qui sont très sensibles au bruit et aux pertes.
Les cristaux temporels durent bien plus longtemps que les états quantiques classiques, ce qui en ferait d’excellents réservoirs d’information quantique stable.
On pourrait aussi les utiliser comme peignes de fréquence, ces dispositifs capables de générer des signaux ultraprécis pour la spectroscopie, la navigation ou la détection médicale.
Une matière programmable en vibration
L’un des aspects les plus prometteurs, c’est que ce cristal devient ajustable : on peut le faire interagir, l’accorder à une fréquence donnée, le coupler à d’autres objets. Il ne s’agit plus d’un phénomène exotique figé dans le vide, mais d’un composant programmable, destiné à dialoguer avec les technologies existantes.
Le tout fonctionne en outre avec très peu d’énergie, dans un système stable à très basse température. De quoi envisager des modules quantiques ultra-stables, capables de maintenir leur état pendant des durées record.
Source :
Continuous time crystal coupled to a mechanical mode as a cavity-optomechanics-like platform. (en français : “Cristal temporel continu couplé à un mode mécanique comme plateforme de type cavité-optomécanique.”)
Mäkinen, J.T., Heikkinen, P.J., Autti, S. et al.
Nat Commun 16, 9050 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-64673-8
Image :
Un cristal temporel formé à la surface d’un superfluide dans des conditions ultra-froides – Crédit : Mikko Raskinen / Université Aalto.