L’art de transformer de l’eau polluée en engrais en 6 secondes.
L’ammoniac est un composé chimique (notamment présent dans l’urine) qui constitue l’une des ressources indispensables pour fabriquer les engrais dont notre agriculture est si friande.
Le problème, c’est qu’on fabrique habituellement l’ammoniac à partir d’azote et d’hydrogène via le procédé très énergivore de Haber-Bosch, responsable à lui seul de plus de 1 % des émissions mondiales de CO₂.
La découverte dont nous allons vous parler aujourd’hui pourrait constituer un début de solution viable à ce problème.
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Les eaux pollués par les nitrates pourraient bientôt devenir un atout et non en fardeau grâce à cette découverte américaine
Une équipe de l’université de Yale a décidé de s’attaquer à un grand problème écologique : la pollution des eaux par les nitrates. On les retrouve notamment dans les rivières, les lacs et les nappes phréatiques en raison des engrais utilisés à outrance. Ces nitrates sont dangereux à haute dose, provoquent des proliférations d’algues (les fameuses “eaux vertes”) et rendent l’eau impropre à la consommation.
Changer cette eau “croupie” en ammoniac propre constituerait ainsi une double victoire : dépolluer l’eau tout en créant un produit utile.
Le concept n’est pas neuf. Mais le faire vite, bien, et sans produits indésirables, c’est une autre paire de manches. Sauf que Yale a annoncé un score jamais vu 92 % de conversion, en seulement 6 secondes !
Une électrode, un piège moléculaire, et c’est parti
La méthode repose sur deux inventions combinées.
D’un côté, une membrane électrifiée, composée de cuivre et de nanotubes de carbone, qui accélère la conversion chimique. Le courant électrique entraîne une réaction électrochimique transformant le nitrate (NO₃⁻) en ammoniac (NH₃). Problème : cette vitesse génère souvent un sous-produit indésirable, le nitrite (NO₂⁻), qui freine le rendement.
C’est là toute l’idée de cette étude des chercheurs de Yale: ajouter un ionophore. Derrière ce mot barbare se cache une molécule capable de retenir les nitrites comme une ventouse chimique. Résultat : au lieu de s’échapper dans l’eau, les nitrites sont gardés à proximité, le temps de terminer leur transformation en ammoniac.
Le combo électrode + piège moléculaire fonctionne à merveille : l’ammoniac formé est pur, le processus est rapide, et l’efficacité dépasse celle des systèmes classiques.
6 secondes chrono : un record dans le traitement de l’eau
En laboratoire, l’équipe a testé le procédé dans des conditions réalistes : avec de l’eau de lac et de l’eau usée provenant d’une station d’épuration. Non seulement la conversion a bien eu lieu, mais le système est resté stable pendant plusieurs heures, sans baisse de performance.
À titre de comparaison, les procédés précédents mettaient plusieurs heures à obtenir des résultats similaires… et souvent avec des catalyseurs coûteux à produire.
Là, pas besoin de platine ou de procédés de nanofabrication compliqués. Le cuivre et les nanotubes de carbone utilisés ici sont bien plus simples à fabriquer, et surtout moins chers.
Un engrais propre… et une arme contre le changement climatique
Si l’ammoniac produit est ensuite utilisé comme engrais, cela permet de boucler une boucle locale : on capte les excès d’azote qui polluent les rivières, et on les réutilise pour faire pousser les cultures, une véritable économie circulaire de l’azote en somme.
Un autre atout est que cet ammoniac peut aussi servir de carburant propre, notamment dans le secteur maritime. À l’échelle industrielle, cela pourrait remplacer des combustibles fossiles et réduire les émissions de CO₂, tout en valorisant les eaux usées.
Si la technologie est industrialisée à grande échelle, les stations d’épuration pourraient devenir des sites de production d’énergie chimique, en plus de leur rôle de dépollution. Une sorte de centrale à ammoniac, alimentée par les rejets de nos villes.
Vers un déploiement industriel ?
Le système reste à ce jour au stade de prototype, mais les chercheurs de Yale sont optimistes : les matériaux sont accessibles, la chimie est reproductible, et les résultats sont publiés dans la revue Nature Chemical Engineering, preuve que la communauté scientifique les prend au sérieux.
Le principal défi sera d’augmenter l’échelle de l’expérience, donc produire ces membranes en grand nombre, et de maintenir leur efficacité dans des conditions réelles, parfois bien plus turbulentes que les tests en laboratoire.
Mais sur le papier, cette invention pourrait bien changer la donne dans le traitement de l’eau et la production d’ammoniac, en divisant les coûts, les temps de traitement et les impacts environnementaux.
Et tout ça, en six petites secondes. Pas mal pour un problème chimique vieux de plus d’un siècle.
Source :
Fan, Y., Yan, Y., Nwokonkwo, O. et al. Tuning nitrate reduction reaction selectivity via selective adsorption in electrified membranes. Nat Chem Eng 2, 379–390 (2025). https://doi.org/10.1038/s44286-025-00237-3