Le Japon dévoile un nouveau cépage pour concurrencer la France sur son “pré carré” même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir

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Une nouvelle vigne japonaise au goût de renouveau local.

Dans une salle de conférence de l’université d’Okayama, les visages sont concentrés mais heureux. Sur la table, des grappes charnues, couleur rubis, brillent sous les néons. Leur nom : Muscat Shiragai. Leur origine : un croisement entre le raisin Muscat d’Alexandrie et une espèce sauvage ultra rare qui ne pousse qu’en bordure de la rivière Takahashi, au cœur de la préfecture d’Okayama.

Ce fruit est le résultat de sept ans de recherche patiente, menée par le professeur émérite Takuji Hoshino, passionné de botanique et directeur fondateur de l’Institut de viticulture et d’œnologie de l’université.

Et derrière cette grappe, il y a toute une ambition agricole, scientifique et territoriale, le Japon chercherait-il à faire de l’ombre à la France ?

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Un grain né de la science et d’une espèce en voie de disparition

Tout commence avec le Shiraga, une variété sauvage que même au Japon peu de personnes connaissent, et qu’on n’avait jamais songé à transformer en vin. Ce raisin fragile, discret, ne pousse que dans quelques zones humides d’Okayama, et sa génétique unique risquait bien de disparaître à force de ne pas être cultivée.
C’est là qu’intervient l’idée brillante : croiser ce Shiraga avec le très connu Muscat d’Alexandrie, réputé pour ses arômes floraux, afin d’obtenir une variété locale, à la fois résistante, aromatique et chargée de terroir.
Ce rêve a pris forme en 2018, avec un partenariat inédit entre la ville de Kurashiki, l’université d’Okayama, et la Funao Winery, un domaine viticole voisin. Une alliance officielle, adoubée par le gouvernement japonais dans le cadre d’une initiative de revitalisation régionale par les ressources locales.

Un vin né de la patience et des essais rigoureux

Entre 2019 et 2022, plusieurs lignées hybrides ont été cultivées, testées, goûtées. Les chercheurs ont mesuré l’acidité, la teneur en sucre, le pH, la stabilité en fermentation, et surtout… le goût. Des années d’évaluations organoleptiques ont permis d’identifier la combinaison idéale.
C’est en 2024 que la Muscat Shiragai a été officiellement sélectionnée. L’université et la ville ont alors déposé un dossier d’enregistrement auprès du ministère de l’Agriculture japonais, qui a validé sa recevabilité en juin 2025. L’homologation définitive est attendue d’ici 2029, mais déjà, le cépage attire l’attention.

Un goût délicat, une ambition régionale

Lors de la présentation officielle, les dégustateurs n’ont pas caché leur enthousiasme. Les raisins sont décrits comme “sucrés et très délicieux”, avec une chair fondante. Le vin, quant à lui, révèle une “aromatique muscat subtile et une bouche fluide”, selon les mots des œnologues présents.
Le maire adjoint de Kurashiki, Kenji Komatsu, y voit l’aube d’un vin emblématique :
“Nous espérons proposer un vin qui ne puisse être produit nulle part ailleurs qu’ici.”
Le PDG de Funao Winery, Kenichiro Miyake, va plus loin :
“Ce cépage est l’occasion de créer un vin rouge à haute valeur ajoutée, identifié à notre région. Nous voulons en faire un ambassadeur du terroir.”

Une production encore confidentielle, mais prometteuse

Actuellement, 20 pieds de vigne de Muscat Shiragai sont cultivés au domaine de Funao et dans la parcelle expérimentale de l’université. C’est encore modeste mais la récolte 2024 a donné 41,6 kg de raisins, soit assez pour une microvinification.

Les perspectives s’annoncent plus généreuses : 300 nouveaux plants greffés ont été mis en terre fin 2023, avec l’objectif d’atteindre plus de 500 kg d’ici 2029.
Les chercheurs travaillent déjà à affiner les pratiques : effeuillage ciblé, gestion de l’irrigation, fertilisation adaptée, pour garantir une qualité constante. Ce n’est pas qu’un cépage qu’ils cultivent, c’est une filière viticole régionale, à l’échelle d’une ville et d’une université.

professeur émérite Takuji Hoshino devant sa création le « Muscat Shiragai ».
professeur émérite Takuji Hoshino devant sa création le « Muscat Shiragai ».

Le Japon pas encore au niveau de la France qui règne toujours en maitresse

Il faut replacer la Muscat Shiragai dans son contexte. Car au Japon, le vin reste une niche culturelle, encore loin de rivaliser avec le saké, la bière ou même le whisky local. Pourtant, la viticulture japonaise progresse vite, avec des cépages indigènes comme le Koshu ou des hybrides comme notre Shiragai. Chaque bouteille produite au pied du mont Fuji ou dans les collines d’Okayama est presque un manifeste d’identité régionale.

En face, la France, avec ses vignes millénaires, ses 17 bassins viticoles, et ses AOC par centaines, reste le poids lourd mondial. Le Japon produit à peine 0,2 % du volume mondial, quand la France en assure près de 15 % à elle seule. En clair : ce que la France produit en une semaine, le Japon met un an à atteindre. Mais l’ambition n’est pas la même. Là où la France joue en ligue mondiale, le Japon cherche à construire un vin du terroir japonais, pour les Japonais, en accord avec leurs goûts, leurs plats, et leur climat.

Et c’est là que réside toute la beauté de l’expérience Muscat Shiragai : moins une conquête du marché mondial, qu’une reconquête poétique d’un territoire par la vigne.

Indicateur France Japon
Production annuelle 45 à 50 millions d’hectolitres Environ 800 000 hectolitres
Part de la production mondiale ≈ 15 % ≈ 0,2 %
Superficie viticole 745 000 hectares ≈ 10 000 hectares
Nombre de régions viticoles 17 grandes régions (ex : Bordeaux, Bourgogne, Champagne…) ≈ 8 régions principales (Yamanashi, Nagano, Okayama…)
Consommation de vin par habitant ≈ 47 litres/an ≈ 3 litres/an

 

Sources :

  • Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) – Rapport statistique 2023–2024
  • FranceAgriMer – Données viticoles France 2023
  • Ministry of Agriculture, Forestry and Fisheries (MAFF, Japon) – Statistiques viticoles 2022–2023
  • Japan Sake and Shochu Makers Association – Données de production nationale
  • Statista – Consommation de vin par habitant (Japon, 2022)
  • Wine Intelligence – Étude de marché 2023 sur les habitudes de consommation au Japon
  • Japan Wine Guide – National Tax Agency (agence nationale des douanes et taxes japonaises)

Source : Université des sciences d’Okayama  – https://www.ous.ac.jp/topics/detail.php?id=5627

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Matthieu Aigron
Matthieu Aigronhttps://www.bulle1924.fr/
Matthieu Aigron est un passionné de gastronomie traditionnelle française, "revisitée" ou non. Il a fait ses études chez Ferrandi avant de faire ses armes aux Plaza Athénée Paris et au Saint-James et désormais Chef du restaurant "Bulle 1924" à Reims. Il vous donne rendez-vous sur Media24.fr pour vous parlez des dernières nouveautés en matière de tourisme, de gastronomie ou tout simplement vous partager une recette !

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