La fusée Ariane 6 en route vers son premier lancement

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La fusée Ariane 6 en route vers son premier lancement

Ariane 6 sur le pas de tir le 24 octobre 2023. Le test dit «wet rehearsal» a duré 30 heures.
© ESA/CNES/Arianespace/ArianeGroup/Optique video du CSG-S. Martin, CC BY-SA

Olivier Bugnet, Centre national d’études spatiales (CNES)

La raison d’être d’Ariane 6 est double : la réduction du coût de lancement par rapport à Ariane 5 et la flexibilité (version à 2 ou 4 boosters et rallumage de l’étage supérieur).

Au cours des 27 années de sa vie, Ariane 5 a continuellement baissé les coûts de ses lancements, en simplifiant, en optimisant, en apprenant à produire mieux. Mais Ariane 5 a été conçue comme un bijou technologique et pas comme un objet industriel. Malgré les baisses de coûts, Ariane 5 devenait trop chère par rapport aux concurrents et donc de plus en plus difficile à commercialiser.

L’architecture, la mise en œuvre, la conception, les sous-systèmes d’Ariane 6 ont été pensés dès le début pour réduire ses coûts de fabrication en s’inspirant des chaînes de production de l’aéronautique et des techniques de fabrication moderne comme l’impression 3D pour certaines pièces complexes des moteurs.

Les besoins du secteur spatial en évolution

Par ailleurs, les besoins des satellites ont considérablement évolué. En effet, à l’ère d’Ariane 4 et d’Ariane 5, la grande majorité des satellites visait l’orbite géostationnaire et demandait à être placée sur une trajectoire de transfert vers cette orbite. Ce type de mission était réalisé par injection directe après l’unique poussée du dernier étage de la fusée.

comparaison entre les différents lanceurs
Les lanceurs Vega (lanceurs légers) et Ariane 5 et 6 (lanceurs moyens et lourds).
ESA, CC BY-SA

Les demandes de lancement sont maintenant bien plus variées et nécessitent le plus souvent une capacité de rallumage de l’étage supérieur. Ceci est dû à l’arrivée de la propulsion électrique des satellites (plus efficace mais qui nécessite une stratégie d’injection orbitale différente), mais aussi à celle des constellations de satellites en orbite basse, par exemple les constellations de télécommunications comme Kuiper, d’Amazon, ou Iris2, de l’Union européenne. Le rallumage de l’étage supérieur d’Ariane 6 permettra de proposer de meilleurs services pour les missions interplanétaires, en permettant des trajectoires qui n’étaient pas réalisables jusqu’à présent.

Cette capacité de rallumage sera également mise à profit pour désorbiter l’étage afin qu’il se désintègre dans l’atmosphère dès la fin de sa mission pour limiter la présence de déchets de l’industrie spatiale en orbite de la Terre.

Vue éclatée d’Ariane 6 : à gauche, la version Ariane 62, à droite, la version Ariane 64.
CNES, CC BY-SA

La flexibilité d’Ariane 6 s’exprime également par sa modularité. Sa version à deux propulseurs en fait un lanceur moyen, de la classe de la fusée Soyouz – qui a été lancée depuis la Guyane pour Arianespace jusqu’en 2021 – particulièrement adaptée à des missions de type observation de la terre de 3 à plus de 5 tonnes ou la constellation de géolocalisation européenne Galileo.

Sa version à quatre boosters en fait un lanceur lourd de type Ariane 5, qui permet d’envoyer des satellites de plus de 10 tonnes en orbite géostationnaire et environ 20 tonnes en orbite basse pour un véhicule de transfert vers la station spatiale internationale comme ATV, ou pour des constellations de télécommunications.

La flexibilité rejoint ici la réduction des coûts puisqu’un même lanceur en remplace deux, avec une augmentation associée de cadence de lancement et donc une réduction de coût, couplée de surcroît à une amélioration de la fiabilité.

Les acteurs principaux du développement d’Ariane 6

Le développement et la fabrication de la fusée Ariane 6 sont assurés par ArianeGroup. L’ESA (Agence spatiale européenne) est maître d’ouvrage mais aussi architecte du système de lancement, c’est-à-dire responsable de la cohérence entre les installations sol et la fusée.

Ariane 6 à bord du navire Canopée, de 121 mètres de long, qui l’amène en Guyane.
Tom van Oossanen/Ariane, CC BY-SA

Le CNES, de son côté, est responsable du développement des installations au sol au Centre Spatial Guyanais : c’est le neuvième pas de tir qu’il conçoit. Il est aussi responsable de la réalisation des « essais combinés », assiste l’ESA et assure la sécurité des biens, des personnes et de l’environnement au titre de la Loi française sur les opérations spatiales. ArianeGroup et le CNES s’appuient sur un ensemble d’industriels européens.

Enfin, c’est Arianespace qui commercialise Ariane 6.

Les essais combinés : quand le pas de tir rencontre sa fusée

Un système de lancement est un système complexe. Celui des fusées Ariane 5 et 6 l’est tout particulièrement car il implique des carburants potentiellement explosifs, qu’ils soient « cryotechniques », c’est-à-dire stockés à des températures extrêmement froides comme l’hydrogène ou solides comme la poudre des propulseurs d’appoint.

En 2022, Ariane 6 (composée de propulseurs d’appoint inertes pour limiter les risques) et le pas de tir ont atteint un niveau de maturité suffisant pour qu’on puisse vérifier leur fonctionnement en commun.

Une première partie a consisté à tester l’assemblage final de la fusée en Guyane. Puis, en 2023, des essais de validation fonctionnelle (électriques, ventilation, émissions radiofréquence…) ont été déroulés. Enfin, des séquences de remplissage des réservoirs, d’allumage du moteur principal Vulcain et de vidanges ont été réalisées, reproduisant une chronologie de lancement complète… sauf le décollage en lui-même.

photo de l’allumage du moteur Vulcain d’Ariane 6
Test du moteur Vulcain 2.1 sur le pas de tir, le 5 septembre 2023.
ESA/ArianeGroup/CNES, CC BY-SA

Un des essais a également permis de réaliser une séquence de vol complet du premier étage, ce qui a validé le fonctionnement du moteur Vulcain avec le reste du lanceur (ordinateur de bord et programme de vol, vérins permettant d’orienter sa poussée pour contrôler la trajectoire, comportement thermodynamique du carburant cryotechnique dans les lignes d’alimentation…). Cet essai de 8 minutes est unique dans la vie du pas de tir : celui-ci a dû être adapté spécifiquement pour résister aux ambiances de pression, de température, de bruit et de vibration induits par le moteur.

Lors de chacune de ces chronologies, des dizaines d’objectifs d’essai ont été atteints. Après chaque essai, le millier de capteurs présents sur la fusée et le pas de tir (pression, température, vibration, tension…) a été exploité pour vérifier le comportement du système et éventuellement recaler les modèles.

Ces essais ont également permis de valider le fonctionnement du système de secours dans des cas dits « dégradés » (c’est-à-dire des situations non standards), qui peuvent arriver pendant l’exploitation, comme le changement d’un équipement en panne sur le lanceur, ou une vanne de vidange bloquée en position fermée.

Et maintenant ? La préparation du vol inaugural

Il reste maintenant à désassembler la fusée des essais combinés, en réalisant au passage des essais de séparations des liaisons entre le pas de tir et la fusée (liaisons électriques et fluidiques) qui doivent se déconnecter lors d’un décollage.

Puis, le pas de tir sera préparé pour accueillir le lanceur du vol inaugural et les lanceurs suivants (car Ariane 6 n’est pas réutilisable).

La première campagne de lancement devrait durer environ deux mois, soit plus de deux fois plus qu’une campagne standard, car une dernière répétition de remplissage sera opérée avec cet exemplaire.

image d’artiste d’Ariane 6 dans l’espace
Rendez-vous à l’été 2024 pour le décollage ! (vue d’artiste).
D. Ducros/ESA, CC BY-SA

Même si un maximum d’essais et de simulations a été réalisé durant le développement d’Ariane 6 pour limiter les risques, c’est lors de son vol inaugural qu’une fusée est confrontée pour la première fois aux conditions réelles, comme le vide spatial, les fortes accélérations et les séparations d’étage pour ne citer que quelques exemples.

Ce vol inaugural est prévu à l’été 2024. Il emportera quelques nanosatellites de laboratoires et d’universités, ainsi qu’une maquette de satellite instrumentée.

À la fin de la mission dite commerciale, c’est-à-dire après la séparation des nanosatellites, ce lancement sera l’occasion de tester des manœuvres plus complexes, comme celles qui seraient nécessaires pour des missions interplanétaires.

Après le premier vol, les équipes analyseront les mesures retransmises au sol pour autoriser le vol suivant au plus tôt. En effet, la montée en cadence se doit d’être rapide pour répondre aux 27 lancements déjà commercialisés par Arianespace.

Une évolution d’Ariane 6 est même déjà en préparation avec une augmentation de sa capacité d’emport… sans augmenter ses coûts.The Conversation

Olivier Bugnet, Chef de projet Ariane 6, Centre national d’études spatiales (CNES)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Eric GARLETTI
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