La découverte récente dans le sud de la Montagne Noire, en France, d’un gisement fossilifère datant du début de l’Ordovicien, soit environ 470 millions d’années, marque un tournant majeur dans notre compréhension des écosystèmes polaires anciens. Baptisé la Biote de Cabrières, ce site exceptionnel offre un aperçu inédit de la diversité biologique et des modes de préservation uniques à une époque où la vie marine était en pleine effervescence.
Une fenêtre sur la vie polaire du passé
Les Lagerstätten, ces gisements riches en fossiles bien préservés, sont des fenêtres précieuses sur la vie passée. La Biote de Cabrières se distingue par sa composition unique, mettant en lumière une faune et une flore principalement préservées dans des oxydes de fer, et comprenant une diversité d’organismes à la fois bio minéralisés et à corps mou.
Cette découverte révèle une assemblée polarisée diversifiée, où les échinodermes se font rares tandis que les éponges et les algues abondent. De plus, des fragments d’arthropodes non bio minéralisés ainsi que des éléments fauniques rappelant les écosystèmes de type Burgess Shale du Cambrien sont également préservés, soulignant un mélange fascinant de taxons de l’Ordovicien inférieur avec des formes cambriennes.
Un refuge biologique du début de l’Ordovicien
Situé potentiellement le plus près du pôle Sud de son époque, le gisement de Cabrières pourrait avoir servi de refuge biotique durant les hautes températures de l’Ordovicien précoce. Ce biote suggère une structuration écologique comparable aux communautés polaires modernes, offrant ainsi un parallèle intrigant avec les écosystèmes actuels en termes de diversité et de stratégies de survie.
Un aperçu de la diversité et de la préservation
Le contenu faunique de la Biote de Cabrières est remarquable, allant des mollusques aux trilobites, en passant par les brachiopodes et les cnidaires. Les trilobites, notamment les genres Ampyx et Asaphellus, indiquent une déposition dans un environnement marin ouvert. Les éponges et les algues, constituant 26% de tous les fossiles identifiés, révèlent une abondance surprenante qui pourrait refléter les conditions écologiques particulières de l’époque.
Les modes de préservation varient, mais beaucoup de fossiles exhibent des teintes de brun, rouge ou orange, et sont incorporés dans une matrice siliciclastique. Les analyses montrent que les fossiles sont composés d’oxydes de fer denses, sans minéraux distincts, ce qui suggère des processus de préservation complexes et potentiellement uniques à ce site.
Importance taxonomique et taphonomique
La Biote de Cabrières représente non seulement une Lagerstätte due à la préservation exceptionnelle de tissus mous mais aussi un élargissement de la gamme des types de tissus préservés dans l’Ordovicien de la Montagne Noire. Ce gisement révèle des groupes taxonomiques entièrement mous, tels que les algues et les animaux non bio minéralisés, enrichissant considérablement notre compréhension de la biodiversité ordovicienne.
La découverte souligne également l’importance de ces biotes comme refuges biotiques, permettant à une grande diversité d’organismes de survivre et de prospérer dans des conditions potentiellement extrêmes. Cela réaffirme l’importance des Lagerstätten pour dévoiler les mystères de la vie ancienne et la dynamique des anciens écosystèmes.
Implications écologiques et évolutives
La position de la Biote de Cabrières dans la zone polaire, son assemblage diversifié, la dominance des éponges et des algues, et la sélectivité de l’habitat des échinodermes soutiennent l’idée que cette assemblage représente un écosystème polaire caractéristique de l’Ordovicien précoce. La similitude entre la Biote de Cabrières et les écosystèmes polaires modernes suscite des questions sur la structuration de niche et l’évolution des écosystèmes à travers le temps géologique.
En révélant un écosystème polarisé riche et diversifié du début de l’Ordovicien, la Biote de Cabrières ouvre de nouvelles voies de recherche sur l’évolution de la vie marine et les réponses des organismes aux changements climatiques et environnementaux à travers l’histoire de la Terre.
Crédit photo : Christian McCall (Prehistorica Art).
Source de l'article : Saleh, F., Lustri, L., Gueriau, P. et al. The Cabrières Biota (France) provides insights into Ordovician polar ecosystems. Nat Ecol Evol (2024). https://doi.org/10.1038/s41559-024-02331-w