Comment des bulbes de fleurs traités rendent résistantes des moisissures dangereuses pour la santé

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Quel est le rapport entre les bulbes de tulipe et l’aspergillose, une grave maladie due à un champignon microscopique, la moisissure Aspergillus fumigatus ? C’est ce que nous avons tenté de découvrir au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Besançon.

Depuis une vingtaine d’années, le nombre de cas cliniques d’aspergillose dus à des souches d’Aspergillus résistant aux antifongiques les plus utilisés est en augmentation. Or ces mêmes antifongiques sont également utilisés dans le domaine agricole et en horticulture.

Nous nous sommes demandé si le fait de planter, à l’hôpital, des bulbes de tulipes traités aux antifongiques pouvait faciliter l’émergence de souches résistantes transmissibles à l’être humain.

Les résultats que nous avons obtenus suggèrent que l’utilisation de tels bulbes pourrait effectivement favoriser le développement de résistance aux antifongiques.

Ces résultats posent particulièrement question dans le contexte actuel de suspension du plan Écophyto, dont l’objectif était de réduire l’usage des pesticides et fongicides en agriculture…

L’aspergillose invasive, une maladie opportuniste mortelle

L’aspergillose est une maladie causée par des champignons microscopiques (moisissures) du genre Aspergillus. Elle peut se manifester sous forme d’infections localisées, d’infection disséminée mortelle ou de maladies allergiques, et toucher de nombreux organes (rein, sinus, peau, sang…).

En France, il s’agit de la troisième cause d’infection fongique invasive. Principalement causée par Aspergillus fumigatus, l’aspergillose touche les personnes immunodéprimées, en particulier les patients ayant reçu une greffe de moelle osseuse ou d’organe, ainsi que les patients sous traitements anticancéreux.

Les spores d’Aspergillus fumigatus sont omniprésentes dans l’air, dans les sols, sur les plantes agricoles, et dans le compost. De ce fait, l’inhalation de ces spores est inévitable. En temps normal, ce n’est pas un problème, car les spores sont éliminées par les défenses immunitaires au niveau du système respiratoire.

Une préparation du champignon microscopique Aspergillus fumigatus, vu sous un objectif grossissant 40 fois
Une préparation du champignon microscopique Aspergillus fumigatus, vu sous un objectif grossissant 40 fois.
S. Rocchi, Fourni par l’auteur

Cependant, chez certaines personnes, l’aspergillose est une maladie dite « opportuniste » : lorsque le système immunitaire est déficient (immunosuppression), le champignon contamine les poumons et peut s’y développer, et par extension provoquer l’aspergillose invasive (et la colonisation d’autres organes).

De 2012 à 2018, 1661 cas de cette maladie ont été recensés dans notre pays, avec un taux de mortalité de 42,5 % chez les patients ayant par ailleurs une maladie du sang, lesquels représentaient 60 % des cas d’aspergillose invasive.

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Émergence de souches résistantes aux médicaments

Le traitement de l’aspergillose nécessite le recours à des médicaments antifongiques. Les azolés agissent en bloquant la fabrication d’un composant important de la membrane cellulaire des champignons, l’ergostérol. Ce sont des thérapeutiques qui allient l’efficacité et une bonne tolérance pour les patients.

Ceux-ci sont utilisés pour traiter non seulement les êtres humains, mais aussi les animaux. Par ailleurs, ils sont également largement employés comme fongicides en agriculture (de pleins champs, maraîchère, viticole), dans les scieries et en horticulture, afin de lutter contre les champignons qui s’attaquent aux plantes (phytopathogènes) ou au bois (lignivores).

Or, lorsque les fongicides azolés sont appliqués dans l’environnement, ils ont un impact non intentionnel sur Aspergillus : ils éliminent les souches sensibles et favorisent, par pression de sélection, celles qui se sont adaptées à ces molécules azolées. Résultat : des souches insensibles aux fongicides azolés se développent.

La surenchère des quantités d’antifongiques répandues et l’utilisation de mélanges d’antifongiques n’ont pas permis d’endiguer l’apparition de ces résistances. Ni même, d’ailleurs, d’éradiquer durablement les phytopathogènes des cultures de riz, de blé, de maïs, de soja et de pommes de terre.

En revanche, désormais, de nombreux patients atteints d’aspergillose sont infectés par une telle souche d’Aspergillus résistante aux azolés. Or, il existe peu de traitements alternatifs, certains étant inefficaces vis-à-vis des espèces dites « filamenteuses » comme Aspergillus ou toxiques pour certains malades (l’amphotéricine est par exemple plus efficace, mais potentiellement toxique pour les reins).

Une des mesures envisageables pour éviter à court terme ces infections à champignons résistants est la prévention de l’exposition.

Dépister les souches résistantes aux azolés

Dans l’optique de mieux prévenir les infections par des souches d’Aspergillus fumigatus résistant aux azolés, depuis 2015, nous réalisons au Centre Hospitalo-Universitaire de Besançon leur dépistage dans l’air intérieur.

Étant donné que des travaux de recherche avaient suggéré que les bulbes de plantes ornementales traitées aux azolés pouvaient jouer un rôle dans la propagation mondiale des souches, nous avons étendu notre surveillance environnementale à des prélèvements de sols. Nous souhaitions ainsi évaluer si la terrasse de notre hôpital, ornée de pots de fleurs, pouvait être une source potentielle de diffusion de la résistance.

En 2019, au total, 69 isolats d’Aspergillus fumigatus résistants aux azolés, et présentant une mutation TR34/L98H, ayant été décrits comme liés à l’utilisation des fongicides dans l’environnement, ont été obtenus : 1 à partir de l’air de l’unité de soins intensifs, 4 à partir des couloirs principaux de l’hôpital, 59 à partir de pots de tulipes importés des Pays-Bas et 5 à partir du sol d’arbres cultivés en pots.

Confirmer l’hypothèse selon laquelle les souches résistantes récoltées dans les couloirs de l’hôpital ou isolées dans les échantillons cliniques proviendraient bien des bulbes traités plantés dans les parterres de fleurs nécessiterait encore de séquencer leur génome. Mais quoi qu’il en soit, ces résultats ont montré l’intérêt de mieux surveiller les sources potentielles d’émergence de résistances dans notre hôpital.

Dites-le plutôt avec des fleurs… bio

Suite à ces résultats, et au risque accru d’infections nosocomiales (les infections contractées à l’hôpital) il avait été décidé de ne plus planter de bulbes traités.

Afin de ne pas supprimer radicalement l’existence de terrasses comportant des jardinières de tulipes, pour préserver un lieu de promenade des patients, nous avons recommandé le remplacement des bulbes de tulipes traités par des bulbes issus de l’horticulture biologique, sans exiger le changement de la terre.

Photo des parterres de tulipes situés devant l’entrée du CHU de Besançon
Les parterres de tulipes situés devant l’entrée du CHU de Besançon.
S. Rocchi, Fourni par l’auteur

Un an après nous avons fait les mêmes prélèvements dans les bacs de terre, avec le même mode opératoire. Nous avons constaté que le taux de résistance était passé de 71 % à moins de 3 % en un an. Ces résultats suggèrent que le remplacement des bulbes traités par des bulbes biologiques peut suffire à rétablir une population majoritairement sensible en seulement un an.

Nécessité d’une surveillance environnementale

Jusqu’à présent, Aspergillus fumigatus a été peu étudié dans l’environnement, car il ne s’agit pas d’un champignon phytopathogène causant des pertes de récoltes.

Cependant, désormais des génotypes d’Aspergillus fumigatus résistants à plusieurs azolés sont détectés dans le monde entier, dans les isolats cliniques ainsi que dans l’environnement.

L’utilisation massive des fongicides azolés dans l’environnement est un facteur majeur pour la sélection de la résistance aux antifongiques médicaux. Il est donc impératif de soutenir le développement d’approches qui déconnecteront à terme l’utilisation des antifongiques en agriculture et leur utilisation en clinique.

Bien qu’il soit séduisant de suggérer une évolution rapide vers une agriculture durable sans pesticide, ou que certaines classes d’antifongiques soient réservées exclusivement pour un usage clinique, ceci ne semble pas faisable à court terme : le nombre de molécules efficaces disponibles est faible, et l’agriculture fait face à la même problématique de résistance.

Dans une telle situation, les systèmes de surveillance permettant de suivre les souches d’Aspergillus fumigatus résistant aux antifongiques sont essentiels. Malheureusement, on manque de tels systèmes à l’heure actuelle.

Par ailleurs, la compréhension de la façon dont la résistance persiste, évolue ou peut être gérée, demeure incomplète. Ce déficit de connaissances menace gravement la gestion des maladies fongiques chez l’être humain et les animaux.

Protéger les patients de l’émergence de souches résistantes liées à l’utilisation de nouveaux fongicides

La nécessité d’une surveillance environnementale est également devenue plus pressante car cinq agents antifongiques dotés de nouveaux modes d’action sont en cours de développement.

Parmi eux, l’olorofim, un nouvel antifongique de la classe des orotomides, représente un espoir pour les patients atteints d’aspergilloses résistantes. Ce nouveau médicament a déjà un analogue fongicide approuvé récemment par l’U.S. Environmental Protection Agency. Mais des travaux de recherche ont montré que cette molécule est capable d’induire des résistances in vitro.

De façon similaire à ce qui s’est passé pour les fongicides azolés, l’utilisation massive des orotomides fongicides risque de réduire les possibilités de traitement chez les patients atteints d’infections fongiques.

Des projets européens visent à développer une méthode standardisée pour la surveillance environnementale. Un tel outil améliorera le suivi et la compréhension des schémas de résistance et permettra d’évaluer les associations avec les pratiques de travail (pulvérisation, compostage), ainsi que l’influence d’autres facteurs (géographique, climatique) sur les niveaux de résistance.

Cela pourra réduire l’exposition à Aspergillus fumigatus résistant aux antifongiques, ce qui devrait permettre de diminuer le nombre de patients atteints d’une aspergillose résistante aux azolés, et donc réduire la mortalité de manière significative.

En attendant, dans les jardins hospitaliers, il est préférable pour la sécurité des patients d’utiliser exclusivement des plantes bio !The Conversation

Gabriel Reboux, Chercheur senior, affilié au laboratoire de Parasitologie-Mycologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon, Université de Bourgogne – UBFC; Laurence Millon, Professeure des Universités, praticien hospitalier – CHU de Besançon, UMR/CNRS 6249 Chrono-environnement, Université de Bourgogne – UBFC et Steffi Rocchi, Chercheuse affiliée à l’UMR/CNRS 6249 Chrono-environnement, Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Eric GARLETTI
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