L’analyse des électrocardiogrammes (ECG) longue durée est une tâche essentielle mais laborieuse. Chaque jour, le cœur humain bat entre 80 000 et 120 000 fois, générant une quantité massive de données lorsqu’un patient porte un enregistreur ECG sur plusieurs jours. Examiner ces enregistrements pour y détecter des anomalies, notamment les arythmies, exige un travail minutieux de la part de techniciens spécialisés.
Une étude publiée dans Nature Medicine et menée par Linda Johnson, professeure associée en épidémiologie cardiovasculaire à l’Université de Lund (Suède), et Jeff Healey, chercheur principal à l’Institut de recherche sur la santé des populations (Canada), démontre que l’intelligence artificielle (IA) dépasse largement l’humain dans cette tâche.
Une étude d’envergure sur plus de 200 000 jours d’enregistrements
L’étude a inclus 14 606 patients, ayant chacun enregistré une moyenne de 14 jours d’ECG, soit un total de plus de 200 000 jours de données analysées. Les enregistrements ont d’abord été examinés selon la méthodologie clinique standard par des techniciens spécialisés. Ensuite, les mêmes données ont été soumises à DeepRhythmAI, un algorithme développé par l’entreprise polonaise MEDICALgorithmics, conçu spécifiquement pour cette analyse.
Pour garantir un standard de comparaison fiable, plus de 5 000 épisodes d’arythmies ont été sélectionnés au hasard pour être examinés, battement par battement, par 17 panels d’experts en cardiologie et électrophysiologie. Ce processus a permis d’établir une base de référence extrêmement précise, contre laquelle les performances de l’IA et des techniciens ont été évaluées.
14 fois moins de diagnostics manqués grâce à l’IA
L’un des résultats les plus marquants est que l’IA a permis de réduire de 14 fois le nombre de diagnostics manqués d’arythmies sévères (bloc auriculo-ventriculaire complet, tachycardie ventriculaire, fibrillation auriculaire).
- L’IA a manqué seulement 0,3 % des arythmies sévères, contre 4,4 % pour les techniciens humains.
- Le taux de faux positifs (détection erronée d’une anomalie grave) est resté modéré : 12 pour 1 000 jours d’enregistrement avec l’IA, contre 5 pour 1 000 jours avec les techniciens.
Une réponse à la pénurie de personnel qualifié
L’objectif de l’étude n’était pas de prouver que l’IA est supérieure aux cardiologues dans l’interprétation des arythmies, mais de mesurer l’impact d’un remplacement des techniciens par une IA fournissant directement un rapport aux médecins.
Aujourd’hui, il manque environ 15 millions de professionnels de santé à travers le monde, et les ECG ambulatoires nécessitent un personnel spécifiquement formé. Cette pénurie entraîne des délais d’attente parfois de plusieurs mois pour l’analyse des ECG longue durée. L’IA offre une alternative immédiate : accélérer et démocratiser l’accès aux examens de surveillance cardiaque.
Un modèle d’IA fiable et opérationnel
Pour être exploitable, un modèle d’IA dans ce domaine doit remplir plusieurs critères précis :
- Sensibilité maximale : il doit détecter systématiquement toutes les arythmies sévères pour éviter les faux négatifs.
- Taux de faux positifs réduit : un excès de diagnostics erronés surchargerait inutilement les cardiologues.
- Rapidité et coût réduit : un système automatisé doit offrir un gain de temps et une réduction des coûts pour être adopté à large échelle.
L’algorithme DeepRhythmAI a prouvé sa capacité à exclure les arythmies graves avec une confiance de 99,9 % sur un enregistrement de 14 jours, offrant une fiabilité supérieure à celle des techniciens tout en réduisant le besoin d’interprétation humaine.
Une nouvelle ère du diagnostic cardiaque ?
L’intégration de l’IA dans l’analyse des ECG longue durée représente un tournant décisif. Elle permettrait de réduire les délais de diagnostic, d’optimiser la prise en charge des patients et d’améliorer la détection des pathologies cardiaques sévères.
Si les résultats de cette étude sont confirmés par d’autres recherches, les systèmes de santé pourraient progressivement remplacer les techniciens ECG par des algorithmes avancés, tout en maintenant un contrôle médical strict. Une évolution qui transformerait la cardiologie moderne et offrirait à des millions de patients un accès plus rapide et plus fiable aux soins.