Une algue mutante colonise la mer Baltique en se clonant sur 500 kilomètres.
Nos mers et océans cachent nous décidément encore bien des mystères. Une équipe de biologistes marins suédois vient de faire une découverte qui va battre tous les records : une immense colonie d’algues s’étendant sur près de 500 kilomètres au large de la Suède (le long de la côte de la mer de Botnie, d’Öregrund dans l’Uppland jusqu’au sud d’Umeå). Cette découverte soulève des questions majeures sur l’adaptation des espèces et la fragilité des écosystèmes marins face au changement climatique.
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Fucus vesiculosus, l’algue qui veut dominer le monde
Pendant des années, les chercheurs ont cru avoir affaire à une variété d’algues marines totalement inédite. Cette population de fucus vésiculeux (Fucus vesiculosus), couramment appelée goémon vésiculeux, semblait morphologiquement distincte de ses congénères. Ce n’est que grâce à des analyses génétiques approfondies qu’un constat surprenant a été établi : il s’agit en réalité d’un seul et même individu cloné à l’infini !
Ce clone massif, entièrement féminin, s’est reproduit par voie asexuée, un phénomène rare à une telle échelle. Il cohabite parfois avec des populations se reproduisant de manière sexuée, mais domine largement certaines zones de la mer Baltique.
Un rôle central dans l’écosystème
L’importance du fucus vésiculeux dans les milieux marins est indéniable. Cette algue forme de véritables forêts sous-marines qui jouent un rôle essentiel dans la biodiversité côtière.
Ces tapis denses, qui s’étendent jusqu’à une profondeur de 10 mètres, offrent un refuge idéal aux mollusques, aux crustacés et aux jeunes poissons. Leur présence est un indicateur de la bonne santé de l’écosystème.
Une vulnérabilité accrue face aux changements climatiques
Si cette reproduction clonale a permis à l’algue de prospérer sur une immense zone, elle représente aussi un grand péril écologique.
L’absence de diversité génétique empêche toute adaptation rapide à un environnement changeant. Avec l’évolution des températures et la baisse de salinité en mer Baltique, la survie de cette population d’algues pourrait être gravement menacée.
Facteurs de stress environnemental :
- Hausse des températures de l’eau
- Diminution de la salinité
- Propagation accrue de maladies
- Perturbation des chaînes alimentaires
D’autres organismes, comme les bancs de moules et certains crustacés, dépendent directement de ces forêts d’algues. Si celles-ci venaient à disparaître, tout l’équilibre marin pourrait être bouleversé.
Une “super femelle” unique en son genre
Ricardo Pereyra, l’un des chercheurs en charge de cette étude, souligne l’ampleur du phénomène :
“Ce clone comprend des millions d’individus et, dans certaines zones, il est complètement dominant. Ailleurs, il cohabite avec des populations sexuées de fucus vésiculeux.”
Les chercheurs ont découvert d’autres clones de grande taille dans la mer Baltique, mais aucun n’atteint les proportions de cette algue surnommée “super femelle”.
Une nouvelle espèce d’algue détectée en Estonie
Au cours de cette même étude, une autre surprise est apparue. Une algue totalement inconnue a été identifiée sur la côte estonienne. Contrairement à la colonie clonale suédoise, cette espèce repose exclusivement sur une reproduction sexuée et présente des caractéristiques morphologiques bien distinctes.
Les autres “monstres” records sur terre
On peut volontiers comparer notre nouveau géant avec 2 autres “monstres” du même acabit : l’Armillaria ostoyae et la forêt Pando. L’Armillaria ostoyae s’étend sur environ 9,6 km², ce qui en fait le plus grand champignon et être vivant “terrestre”. En comparaison, la forêt Pando ne couvre “que” 43 hectares mais il est composé de 50 000 peupliers faux-trembles (Populus tremuloides) clonés et reliés entre eux par un système uniracinaire. Il serait le plus lourd être vivant sur Terre avec ses 6 000 tonnes et probablement l’un des plus vieux avec un âge qui pourrait avoisiner les 80 000 ans !
Alors si on joue sur les mots, l’amas de Fucus vesiculosus trouvé en Mer Baltique n’est pas “le plus grand être vivant sur terre” mais “la plus grande concentration d’être génétiquement identiques au monde” (chaque individu reste indépendant des autres mêmes s’ils partagent tous le même code génétique). Mais cette algue peut dors et déjà pénétrer le panthéon des monstres terrestres.
Source :
An Evolutionary Mosaic Challenges Traditional Monitoring of a Foundation Species in a Coastal Environment—The Baltic Fucus vesiculosus
Ricardo T. Pereyra, Alexandra Kinnby, Alan Le Moan, Olga Ortega-Martinez, Per R. Jonsson, Stefania Piarulli, Matthew I. M. Pinder, Mats Töpel, Pierre De Wit, Carl André
17 février 2025
https://doi.org/10.1111/mec.17699