Les batteries lithium-ion des véhicules électriques n’aiment pas le froid. Et ce n’est pas une opinion, mais un constat physico-chimique : dès que les températures chutent sous les 0 °C, les performances s’effondrent, la vitesse de charge ralentit et l’autonomie diminue. En janvier 2024, de nombreux conducteurs américains en ont fait les frais lors d’une vague de froid intense : des bornes surchargées, des temps d’attente interminables et des véhicules immobilisés.
Des chercheurs de l’université du Michigan viennent peut-être de débloquer cette impasse technique.
À l’origine du problème : une réaction chimique bien connue
Dans une batterie lithium-ion, l’énergie est stockée et restituée par le mouvement d’ions lithium entre deux électrodes, au travers d’un électrolyte liquide. Lors de la charge, ces ions viennent se loger dans l’anode, généralement en graphite. Mais sous l’effet du froid, ce déplacement devient lent et chaotique.
Résultat : la batterie charge plus lentement, perd de la puissance, et peut se détériorer.
Une autre difficulté survient avec la formation d’un dépôt métallique, le « lithium plating », lorsque l’on tente de charger rapidement une batterie froide. Cette accumulation désorganisée de lithium sur l’anode bloque les canaux d’insertion et endommage la structure interne. Elle réduit la durée de vie de la batterie et surtout, diminue dangereusement sa capacité effective.
Deux innovations pour contrer ce double blocage
Les ingénieurs du laboratoire de batteries de l’université du Michigan ont développé une stratégie en deux étapes.
Premièrement, ils ont modifié l’architecture interne de l’anode. À l’aide de lasers, ils ont percé des micro-canaux de 40 microns à travers la couche de graphite. Cela crée des « autoroutes » pour les ions lithium, permettant une diffusion rapide et homogène, même dans les zones habituellement peu accessibles de l’électrode.
Mais ce n’était pas suffisant en conditions froides. Le vrai obstacle se trouvait dans la couche superficielle qui se forme à l’interface entre l’anode et l’électrolyte : une couche interphasique, dont la viscosité augmente considérablement à basse température, bloquant les ions comme un beurre dur bloque une lame.
Pour contourner cela, les chercheurs ont mis au point un revêtement en borate-carbonate de lithium, une fine couche vitreuse de 20 nanomètres, qui empêche cette réaction indésirable. Ce revêtement rend la surface plus stable, plus lisse, et surtout moins sujette à la formation de dépôts.
Des performances impressionnantes à -10 °C
Lors des essais, la combinaison des deux procédés — micro-canaux + revêtement protecteur — a permis de multiplier par cinq la vitesse de charge à -10 °C (14 °F), sans sacrifier la densité énergétique.
Même après 100 cycles de charge rapide en atmosphère froide, les cellules conservent 97 % de leur capacité initiale, ce qui est un indicateur de stabilité exceptionnel.
C’est la première fois qu’une équipe démontre une solution technique qui n’impose pas de compromis entre la rapidité de charge, l’autonomie et la durabilité d’une batterie, le tout dans un contexte hivernal.
Une technologie prête à être industrialisée
Autre point fort : les chercheurs ont veillé à ce que leur solution soit compatible avec les lignes de production existantes. Pas besoin de revoir entièrement les procédés industriels. Il suffirait d’intégrer les deux étapes — perçage laser et dépôt de revêtement — au sein du processus classique de fabrication.
Cela rend la perspective commerciale bien plus réaliste. D’ailleurs, une start-up nommée Arbor Battery Innovations, liée à l’université, a déjà obtenu une licence exclusive pour la technologie des micro-canaux et travaille à son intégration dans des produits commerciaux.
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Un enjeu industriel et psychologique pour l’adoption des véhicules électriques
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2023 et 2024, la proportion d’Américains prêts à acheter une voiture électrique est passée de 23 % à 18 %. Parmi ceux qui ne sont pas intéressés, 63 % invoquent le manque de fiabilité par temps froid, notamment en matière d’autonomie et de recharge.
Avec des batteries capables de se charger en moins de 30 minutes, même par -10 °C, cette technologie répond à l’une des inquiétudes majeures des futurs acheteurs.
Le projet bénéficie d’un financement du Michigan Translational Research and Commercialization Hub et les essais ont été menés dans les laboratoires de caractérisation avancée de l’université. Les travaux ont été publiés dans la revue scientifique Joule.
Ce n’est donc pas une simple hypothèse ou une promesse théorique : c’est une avancée concrète, reproductible et documentée, avec une perspective d’industrialisation claire.
Source de l’étude : http://dx.doi.org/10.1016/j.joule.2025.101881