Un robot révèle ce que cache la fonte de l’iceberg A-68a en Antarctique.
Il mesurait près de 6 000 km² pour 200 mètres d’épaisseur. Le bloc de glace A-68a était tout simplement le plus grand iceberg du monde au moment où il s’est détaché de la plateforme Larsen-C (2x la taille du Luxembourg tout de même) en Antarctique en 2017. Début 2021, il dérivait à quelques encablures de l’île subantarctique de la Géorgie du Sud. C’est là qu’un navire de recherche, le RRS James Cook, a tenté une nouvelle approche pour étuder la fonte de ces colosses, sans risquer de vie humaine, avec un nouvel allié de poids : les robots.
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Un robot pour mieux comprendre la fonte des icebergs géants d’Antarctique
Les icebergs géants, en plus d’être imprévisibles, sont entourés de débris de glace flottants pouvant piéger les engins, et donc considérablement dangereux pour les chercheurs, avides d’en savoir plus sur les conditions de leur fonte. Les récentes avancées technologiques permettent désormais d’étudier au plus près ces colosses gelées en toute sécurité grâce à des robots ou à des drones, qui prennent donc tous les risques à la place de l’homme ! Dans le cas présent, les scientifiques ont utilisé des robots “gliders” (planeurs en français), capables de se glisser sous les icebergs.
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Pourquoi s’intéresser à l’eau de fonte ?
Un iceberg ne se contente pas de fondre comme un glaçon dans un verre. Il interagit en profondeur avec l’océan qui l’entoure. Grâce aux données collectées par les “planeurs”, les chercheurs ont mis en évidence un phénomène peu étudié jusqu’ici : la fonte basale, c’est-à-dire la fonte qui se produit sous la surface, là où la glace est au contact direct de l’eau.
En fondant, l’iceberg A-68a a modifié les couches d’eau proches de lui. Notamment une couche appelée “eau hivernale”, formée pendant l’été austral. Cette couche froide agit habituellement comme une barrière entre les eaux de surface et les couches profondes.
Quand cette barrière est érodée, tout change.
Une remontée inattendue de nutriments
En supprimant cette séparation naturelle, l’eau de fonte permet aux eaux profondes, riches en nutriments, de remonter vers la surface. Et avec elles, des éléments comme le fer et la silice, souvent piégés dans la glace ou dans les sédiments du fond.
Le résultat est un véritable stimulus pour la productivité primaire. C’est-à-dire la croissance du phytoplancton, base de toute la chaîne alimentaire marine. Krills, poissons, phoques, oiseaux marins et baleines dépendent tous de cette abondance microscopique.
Ce processus, encore mal quantifié jusque-là, est essentiel pour comprendre comment l’océan absorbe le carbone et la chaleur. Car si la vie explose localement, cela signifie aussi des échanges plus intenses avec l’atmosphère.
Une mission scientifique… confinée
C’est un autre aspect assez cocasse de cette aventure. La mission a été pilotée à distance depuis l’Angleterre, en plein confinement lié au COVID. Chaque membre de l’équipe, devant son ordinateur, guidait les planeurs au gré des rares images satellites disponibles.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce ne fut pas une croisière tranquille.
L’un des planeurs a été perdu dans les glaces. L’autre s’est retrouvé coincé sous l’iceberg à plusieurs reprises, avant de ressortir 17 jours plus tard avec un trésor de données. C’est grâce à ce survivant que les scientifiques ont pu documenter pour la première fois l’effet d’un iceberg géant en train de fondre, au cœur même de la turbulence océanique.
Une multiplication inquiétante des géants de glace
A-68a n’est pas un cas isolé. Depuis sa dérive, d’autres mastodontes comme A-23a ont pris la même route vers la Géorgie du Sud. Ce dernier, échoué sur le plateau continental de l’île, fait déjà l’objet de nouvelles observations par le navire britannique RRS Sir David Attenborough.
Chaque iceberg qui fond redistribue la chimie de l’océan. Ces masses apportent des nutriments, mais aussi modifient les circulations thermohalines, perturbent les habitats de certaines espèces et influencent les échanges atmosphériques.
L’impact est local mais potentiellement durable.
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Ce que ces données changent pour la science du climat
Jusqu’à présent, les modèles climatiques s’appuyaient sur des observations satellitaires ou très éloignées. Avec ces mesures inédites, les chercheurs disposent d’un levier pour ajuster et affiner leurs simulations.
Les données récoltées concernent :
- la température de l’eau
- la salinité
- la concentration en chlorophylle
- la turbidité
Autrement dit, des paramètres importants pour comprendre la vie marine et les échanges énergétiques entre l’océan Austral et l’atmosphère. Ce qui se joue là-bas, à 12 000 km de nos côtes, influence aussi notre climat européen.
Même si A-68a s’est disloqué, son héritage scientifique est colossal.
Source :
Giant iceberg meltwater increases upper-ocean stratification and vertical mixing.
Lucas, N.S., Brearley, J.A., Hendry, K.R. et al.
Nat. Geosci. 18, 305–312 (2025).
https://doi.org/10.1038/s41561-025-01659-7
Image : Robot Planeur déployé à partir du navire RRS James Cook (Crédit : Yvonne Firing)