La découverte d’un atome en Finlande défie les modèles nucléaires “classiques”.
Un noyau aussi lourd qu’instable, un atome aux formes étonnamment allongées et une émission de proton rarissime qui agite le monde de la physique nucléaire ! Voici l’histoire de l’isotope 188 de l’astate, récemment découvert en Finlande. Ce noyau pousse les modèles théoriques dans leurs retranchements, comme une équation qu’on croyait bouclée et qui soudain déborde. Et tout ça, sans même avoir besoin d’un accélérateur géant enterré sous terre.
Lire aussi :
- Première mondiale pour ces chercheurs allemands qui ont réussi l’impossible en synthétisant un atome d’hydrogène avec six neutrons grâce à l’accélérateur MAMI
- Une nouvelle forme de magnétisme vient d’être prouvée et ouvre une nouvelle voie excitante pour la haute technologie et la science : l’altermagnétisme
Un noyau de 188At, né dans les forges de Jyväskylä
Dans les sous-sols de l’Université de Jyväskylä, au cœur de la Finlande, des chercheurs viennent d’identifier l’isotope le plus lourd jamais observé capable d’émettre un proton : le 188At.
Ce noyau est composé de 85 protons et 103 neutrons, ce qui en fait le plus léger des isotopes connus de l’astate, tout en étant paradoxalement le plus massif capable d’émettre un proton.
Pour le créer, les scientifiques ont bombardé une cible d’argent naturel (107Ag) avec des ions strontium 84. Résultat : une réaction dite de fusion-évaporation, avec trois neutrons évaporés, produisant ce noyau rare. L’équipe a utilisé le spectromètre focalisé du séparateur de recul RITU, un dispositif qui trie les noyaux par leur trajectoire et leur masse.
Une forme de melon qui intrigue les physiciens
Une petite surprise attendait les scientifiques : le noyau 188At ne ressemble pas du tout à une sphère. Il est fortement allongé, comme une pastèque posée sur la tranche. C’est ce qu’on appelle une forme prolate dans le jargon nucléaire.
Ce genre de déformation influence directement la stabilité du noyau, donc son comportement.
Cette géométrie joue un rôle inattendu puisque les modèles théoriques existants ne prévoyaient pas une émission de proton dans cette configuration. Ce noyau semble indiquer un changement de tendance dans l’énergie de liaison du proton de valence. Autrement dit : quelque chose cloche dans nos équations.
L’émission de proton : un phénomène aussi rare que fascinant
Dans le grand bestiaire des désintégrations radioactives, l’émission de proton est un oiseau rare. Elle se produit quand un noyau trop riche en protons rejette l’un d’eux pour atteindre un état plus stable. Cela n’arrive que dans des noyaux extrêmement déséquilibrés et instables.
Jusqu’à maintenant, le 185bismuth détenait le titre de proton émetteur le plus lourd, repéré en 1996. Ce nouveau venu, 188At, vient donc de battre ce record.
Des détecteurs très fins pour des noyaux très fugaces
Ces noyaux n’existent que quelques millisecondes. Il faut donc une précision chirurgicale pour les détecter. Les chercheurs ont utilisé le séparateur RITU, capable de trier les fragments atomiques sortis de la cible d’argent bombardée.
Une fois capturé, le noyau 188At a été étudié grâce à une série de détecteurs en chaîne, capables de repérer les signaux très faibles et très brefs associés à l’émission d’un proton.
Le défi, ici, n’est pas seulement technique. Il est aussi statistique : ces noyaux sont produits à raison de quelques unités par heure, noyés dans des milliards d’autres particules inintéressantes.
Une chercheuse et un sujet de master qui deviennent historiques
Henna Kokkonen, doctorante à Jyväskylä, n’en est pas à son coup d’essai. Cette découverte s’inscrit dans la suite directe de son mémoire de master, au cours duquel elle avait déjà identifié un autre isotope d’astate, le 190At, en 2023.
Depuis, elle poursuit cette quête des frontières de la matière, avec une ténacité qui impose le respect : « Chaque expérience est un défi. On ne découvre pas un nouveau noyau tous les jours. »
Le plus fascinant ici, c’est que ces travaux ont un impact direct sur notre compréhension du noyau atomique, l’un des objets les plus complexes de l’Univers connu, coincé entre les lois de la mécanique quantique et les forces nucléaires.
Quand l’infiniment petit bouleverse l’infiniment grand
Cette découverte n’est pas un simple trophée académique. Elle remet en question les modèles de liaison nucléaire, qui sont aussi utilisés pour prédire le comportement de noyaux présents dans les étoiles à neutrons, ou produits lors de collisions dans les accélérateurs.
Derrière cette pastèque nucléaire se cache peut-être un indice vers une nouvelle interaction entre les protons dans les noyaux lourds, ou même des ajustements à apporter aux équations fondamentales de la physique nucléaire. On ne parle pas ici d’ajuster la virgule d’un calcul, mais de modifier la structure même de la théorie.
Et comme souvent en physique, c’est l’expérience qui dicte ses lois : si la nature permet cette émission de proton dans une géométrie aussi étrange, alors c’est notre devoir de revoir les modèles, aussi élégants soient-ils.
Fiche technique simplifiée du noyau 188At
Propriété | Valeur |
Élément | Astate (At) |
Numéro atomique | 85 |
Nombre de neutrons | 103 |
Masse atomique (approx.) | 188 u |
Mode de production | 107Ag(84Sr, 3n)188At |
Type de désintégration | Émission de proton |
Durée de vie estimée | Inférieure à 1 milliseconde |
Forme nucléaire observée | Prolate (forme de pastèque) |
Lieu de découverte | Université de Jyväskylä |
Source :
Kokkonen, H., Auranen, K., Siwach, P. et al. New proton emitter 188At implies an interaction unprecedented in heavy nuclei. Nat Commun 16, 4985 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-60259-6
Image : Arrière-plan de l’hologramme de l’atome montrant le remix de la technologie scientifique de la main de l’homme (Freepik)