L’hydrogène à six neutrons : un isotope ultra-lourd créé pour la première fois grâce à un faisceau d’électrons.
On connaissait l’hydrogène classique : un proton et un électron, basique, léger, stable. On connaissait aussi son cousin un peu plus massif, le triton, avec deux neutrons. Mais un hydrogène avec cinq neutrons autour d’un seul proton (⁶H) restait encore jusqu’à récemment du domaine du “pure théorique”, voire irréaliste.
Pourtant c’est ce que vient de réussir à synthétiser pour la première fois dans l’Histoire une équipe internationale de chercheurs, pilotée depuis l’université de Mayence en Allemagne. Une prouesse rendue possible grâce à un faisceau d’électrons de 855 MV issu du célèbre accélérateur MAMI, l’un des équipements les plus performants d’Europe pour la physique des particules légères.
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⁶H : l’atome le plus déséquilibré jamais observé et réalisé en laboratoire
Ce noyau d’hydrogène ⁶H est le plus déséquilibré connu à ce jour, avec un seul proton pour cinq neutrons. Autrement dit : le record du monde du rapport neutron/proton. Sa stabilité est très brève, sa masse étant énorme pour un simple atome d’hydrogène.
Ce type d’isotope permet de poser une question fondamentale : combien de neutrons peut-on forcer à rester autour d’un seul proton avant que tout ne s’effondre ?
Spoiler alert : probablement pas beaucoup plus que six, et encore, de manière fugace.
Mais au-delà de la performance, la découverte remet en cause les modèles actuels des forces nucléaires multinucléoniques, c’est-à-dire les interactions entre plusieurs neutrons regroupés autour d’un seul proton.
Une méthode à deux temps, orchestrée avec finesse
Pour fabriquer ⁶H, l’équipe a utilisé une cible en lithium-7 (⁷Li), un isotope naturellement riche en neutrons. Le processus se déroule en deux étapes :
- Le faisceau d’électrons frappe le noyau de lithium et provoque la transformation d’un proton en neutron, avec émission d’un pion.
- Ce nouveau neutron transmet de l’énergie à un second proton, ce qui, dans un cas rarissime, permet la création du noyau ⁶H, pendant que pion et proton s’échappent du noyau.
L’ensemble est ensuite détecté via trois spectromètres magnétiques, capables de mesurer en même temps l’électron diffusé, le pion et le proton éjectés. Une triple coïncidence indispensable pour valider l’existence de ce phénomène.
Un événement par jour, pendant quatre semaines
Créer un isotope aussi rare est un véritable travail d’artisan. En moyenne, les chercheurs ont détecté un événement ⁶H PAR JOUR, sur une période de quatre semaines. Oui, un seul. Et pourtant, les données sont claires : l’isotope a bien été produit, et sa masse au repos est plus faible que prévu par les modèles récents.
Ce résultat suggère que les neutrons interagissent entre eux plus fortement que prévu dans ce genre de structure. Une information précieuse pour les théories nucléaires, mais aussi pour la compréhension des environnements astrophysiques riches en neutrons, comme les étoiles à neutrons ou les explosions de supernovae.
Une cible de lithium fine, longue… et délicate
Outre le faisceau et les détecteurs, le choix de la cible a été déterminant. Le lithium-7 utilisé a été étiré en une bande de 45 mm de long et 0,75 mm d’épaisseur, une géométrie inhabituelle mais nécessaire pour maximiser les chances d’interaction avec les électrons.
Travailler avec du lithium n’est pas simple : c’est un métal réactif, fragile, et chimiquement instable à l’air libre. Les physiciens ont dû le manipuler avec soin pour garantir sa conservation tout au long des expériences.
MAMI : un accélérateur au service de la physique fondamentale
Ce résultat n’aurait pas été possible sans l’outil central de l’expérience : le Mainz Microtron (MAMI). Cet accélérateur électrons fournit un faisceau d’une grande stabilité, haute précision énergétique et faible bruit de fond.
Combiné aux spectromètres de l’A1 Collaboration, le dispositif permet une exploration d’une finesse remarquable des structures nucléaires exotiques.
Ce qui a permis de mesurer l’éphémère, l’invisible et surtout de rendre le “purement théorique” observable.
Source : https://press.uni-mainz.de/new-method-to-produce-an-extremely-heavy-hydrogen-isotope-at-the-mainz-microtron-accelerator-mami/
Image : https://wwwa1.kph.uni-mainz.de/
Publié dans Physical Review Letters
“Measurement of 6H Ground State Energy in an Electron Scattering Experiment at MAMI-A1” par Tianhao Shao, Jinhui Chen, Josef Pochodzalla, Patrick Achenbach, Mirco Christmann, Michael O. Distler, Luca Doria, Anselm Esser, Julian Geratz, Julian Geratz, Christian Helmel, Matthias Hoek, Ryoko Kino, Pascal Klag, Yu-Gang Ma, David Markus, Harald Merkel, Miha Mihovilovič, Ulrich Müller, Sho Nagao, Satoshi N. Nakamura, Kotaro Nishi, Ken Nishida, Fumiya Oura, Jonas Pätschke, Björn Sören Schlimme, Concettina Sfienti, Daniel Steger, Marcell Steinen, Michaela Thiel, Andrzej Wilczek et Luca Wilhelm, le 22 avril 2025.
DOI: 10.1103/PhysRevLett.134.162501