Le champignon doré qui dévore les forêts nord-américaines.
Il avait tout pour plaire. Une texture tendre, une saveur noisette, une couleur solaire. Le Pleurotus citrinopileatus, qu’on appelle “champignon huître doré” en anglais et simplement “pleurote doré” en français (la France est plus “terre à terre” pour le nom de ses champignons), a longtemps fleuri dans les cuisines des chefs amateurs, cultivé dans les caves ou sur les balcons d’Amérique du Nord. Seulement aujourd’hui, il ne pousse plus seulement sur les bûches domestiquées. Il s’est échappé et il colonise les forêts !
Lancé sur le marché depuis une vingtaine d’années, ce champignon venu d’Asie originaire des forêts humides de Russie orientale, du nord de la Chine et du Japon s’est affranchi des serres. Il pousse désormais à l’état sauvage, libre… et terriblement envahissant.
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De star des cuisines à terreur des forêts d’Amérique du Nord
Tout a commencé en douce. Quelques taches jaunes, presque fluo, sur des troncs morts du Wisconsin. Puis des photos sur iNaturalist, des observations sur MushroomObserver. En dix ans, l’espèce a été signalée dans 25 États américains et une province canadienne, couvrant déjà près de 2 millions de kilomètres carrés.
Le plus souvent, on le repère sur des ormes morts, mais il s’attaque aussi aux cerisiers noirs, aux érables, aux frênes… Tout ce qui se décompose lentement et nourrit la forêt devient sa cible. Là où il s’installe, il ne laisse que peu de place aux autres.
Une forêt vidée de ses champignons
Pour comprendre l’impact réel, des chercheurs ont foré les troncs de 26 ormes morts dans trois parcs du Wisconsin. La moitié portait des pleurotes dorés. Verdict : les arbres sans lui abritaient en moyenne 40 espèces fongiques, souvent indigènes. Ceux où il régnait n’en comptaient plus que 22.
Ce champignon a été sélectionné en culture pour croître vite, très vite. Une amélioration génétique qui, dans la nature, le rend supérieur à la concurrence. Il décompose plus rapidement, relâche plus de CO₂ que les champignons indigènes, et transforme les cycles de la matière morte.
Le bois mort n’est pas un déchet, c’est une réserve. Un abri pour les chouettes, les chauves-souris, les insectes. Un refuge pour les jeunes pousses d’arbres, un berceau pour la biodiversité. Si les pleurotes dorés le font disparaître trop vite, ce sont les bases même des forêts tempérées qui sont en jeu.

Le champignon qui sent la mort
Les scientifiques l’ont goûté, au début. Frais, il est agréable. Mais après quelques jours, même au réfrigérateur, il libère une odeur qui rappelle une cave humide… ou pire. “Il sent la mort”, confie Aishwarya Veerabahu, mycologue et autrice principale de l’étude. Le symbole est fort : ce qui nous nourrissait en cuisine accélère aujourd’hui la fin des habitats forestiers !
Ce n’est pas une maladie. Les pleurotes dorés ne tuent pas les arbres vivants. Ils attendent qu’ils tombent puis les consomment, plus vite que les autres. Les animaux qui dépendaient de ces arbres pour nidifier, se cacher, ou se reproduire, n’ont dès lors plus le temps d’y revenir.
Une propagation inexorable
Selon les modélisations climatiques, le champignon pourrait progresser vers l’ouest, atteindre les Grandes Plaines, et même coloniser l’Alaska. Il aime l’humidité, les températures douces, et les forêts en transition. Tout ce que le changement climatique est en train d’amplifier.
Les kits de culture, vendus par correspondance ou dans les magasins de jardinage, ont largement contribué à sa dissémination. Même si des promeneurs en remplissent des sacs entiers dans les bois, cela ne ralentit pas sa progression. Il en reste toujours, tapis dans un tronc, invisible jusqu’à la prochaine pluie.
Que faire quand le “monstre” a été libéré de nos mains ?
Ce champignon n’est pas une erreur de laboratoire. C’est un produit du commerce. Un accident d’agriculture urbaine. Une conséquence inattendue de notre volonté de produire local, bio, gourmand. Et c’est peut-être ce qui le rend si difficile à gérer.
Des chercheurs appellent aujourd’hui à interdire la vente des kits contenant cette espèce. À plus long terme, ils suggèrent de créer des lignes directrices pour éviter que d’autres champignons sélectionnés pour leur rendement ne prennent eux aussi le maquis.
Car le golden oyster n’est peut-être que le premier. Et si demain, chaque cave pouvait contaminer une forêt ?
Source :
Invasive golden oyster mushrooms are disrupting native fungal communities as they spread throughout North America
Aishwarya Veerabahu ∙ Mark T. Banik ∙ Daniel L. Lindner ∙ Anne Pringle ∙ Michelle A. Jusino
Publié le 16 juillet 2025
https://doi.org/10.1016/j.cub.2025.06.049
Image : Prise de vue en contre-plongée de grands arbres à couper le souffle au milieu du parc national de Sequoia, Californie, États-Unis