Le transport maritime, essentiel au commerce mondial, est confronté à un problème coûteux et souvent négligé : l’accumulation de biofilm, ou “slime marin”, sur les coques des navires. Cette couche visqueuse entraîne une augmentation de la consommation de carburant, des émissions de CO2 plus élevées et, par conséquent, des coûts accrus pour les opérateurs et les consommateurs. Une étude récente menée par l’Institut royal de technologie KTH apporte un éclairage innovant sur ce phénomène et propose des solutions prometteuses.
Comprendre le phénomène du biofilm : un frein invisible mais significatif
Le processus de formation du biofilm débute par l’attachement de micro-colonies de bactéries sur la surface de la coque du navire. Ces bactéries créent des structures de base qui servent de point d’ancrage pour des formations filamenteuses, appelées “streamers”. Ensemble, ces structures et streamers engendrent des irrégularités à la surface de la coque, augmentant la friction avec l’eau.
Cornelius Wittig, doctorant en mécanique des fluides à KTH, explique que cette friction accrue peut avoir des conséquences importantes. Une coque couverte d’un mince biofilm peut nécessiter une augmentation de la puissance de l’arbre de transmission d’un navire de 18 %, ce qui peut se traduire par une hausse de 80 % de la consommation de carburant.
Une modélisation pour mieux anticiper
Les chercheurs de KTH ont développé un modèle capable d’estimer la vitesse et l’ampleur de la croissance du biofilm sur les coques de navires. L’objectif est de permettre aux exploitants maritimes de planifier le nettoyage de leurs coques à des intervalles optimaux, évitant ainsi des pertes inutiles de carburant.
Actuellement, de nombreux navires ne sont nettoyés qu’après une hausse notable de la consommation de carburant. Wittig souligne que cette approche réactive est peu efficace : “À ce stade, il est souvent trop tard et une grande quantité de carburant a déjà été gaspillée.”
Le modèle développé par l’équipe de KTH repose sur l’analyse de la contrainte de cisaillement exercée par les flux d’eau sur la coque. Ces contraintes influencent directement la vitesse de croissance des streamers et, par conséquent, l’intensité du fouling. La recherche montre que ces contraintes peuvent être estimées à partir de la vitesse du navire, fournissant ainsi des prédictions approximatives mais exploitables pour planifier les nettoyages.
Un équilibre entre coûts et bénéfices
L’un des enjeux majeurs est de déterminer à quel moment le nettoyage devient économiquement avantageux. “Les économies potentielles réalisées grâce au nettoyage doivent être suffisantes pour compenser les coûts liés à l’entrée en cale sèche et aux procédures de nettoyage”, explique Wittig. Avec des prédictions fiables, les opérateurs pourraient ajuster leurs calendriers de maintenance pour maximiser les économies et minimiser l’impact environnemental.
Des applications au-delà du transport maritime
Les implications de cette recherche vont bien au-delà des coques de navires. Le biofilm pose également des problèmes dans des domaines tels que la médecine et la dentisterie, où des formations similaires peuvent obstruer des dispositifs médicaux tels que les stents ou les cathéters.
Wittig note également que les streamers, en oscillant dans les flux de liquide, peuvent intensifier les frictions non seulement dans l’eau, mais aussi dans les canalisations ou autres environnements confinés. Ces effets ouvrent la voie à des recherches supplémentaires dans des conditions plus complexes et réalistes.
Une avancée prometteuse pour un secteur en quête d’efficacité
Cette étude, publiée dans la revue NPJ Biofilms and Microbiomes, offre une nouvelle perspective sur la gestion des biofilms dans le transport maritime. Bien qu’il reste nécessaire de valider ces modèles dans des conditions opérationnelles, les premiers résultats montrent un potentiel important pour réduire les coûts et les émissions.
Pour les opérateurs maritimes, anticiper le nettoyage des coques en fonction de données scientifiques pourrait transformer leur approche, permettant des gains substantiels en carburant et une contribution significative à la réduction des émissions de CO2.
Source de l’article : http://dx.doi.org/10.1038/s41522-024-00633-2