Cette île fantôme apparait et disparait au grès des événements géologiques.
Une île volcanique qui jaillit des eaux pour disparaître aussitôt dans les flots ? Non, ce n’est pas le scénario d’un vieux roman de Jules Verne, mais bien la vie géologique particulière de Ferdinandea, un bout de terre capricieux du fond de la Méditerranée.
Entre éruptions sous-marines, conflits diplomatiques et erreurs militaires, cet îlot insaisissable soulève autant de questions scientifiques que stratégiques. À vos lunettes, on plonge sous huit mètres d’eau !
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Ferdinandea, une île qui joue à cache-cache au bord de l’Italie
Au fond du canal de Sicile, une structure volcanique dort à 8 mètres de profondeur.
Son nom ? Empédocle. Rien à voir avec le philosophe grec, bien qu’il soit aussi connu pour ses visions sur les éléments. Ce volcan sous-marin appartient aux Champs Phlégréens de la mer de Sicile, une zone instable au large de la côte sud de l’Italie.
En 1831, une éruption violente donne naissance à une île de 5 kilomètres de circonférence et 65 mètres de hauteur qui surgit comme un bouchon de champagne. Elle se dresse fièrement dans les eaux italiennes… jusqu’à ce que l’érosion l’engloutisse quelques mois plus tard.
Ce phénomène s’est produit trois fois avec des émergences documentées : en 1701, 1831, et 1863; et probablement plusieurs autres plus anciennes, notamment pendant la première guerre punique en 253 avant notre ère.
Une île aux mille noms, pour mille drapeaux !
Ferdinandea, Graham, Julia, Hotham, Sciacca… En fonction de la langue, du drapeau ou de la volonté diplomatique, l’île change d’identité comme un agent double.
- Les Britanniques y plantent l’Union Jack et la nomment “Graham Island”.
- Les Français répliquent avec un drapeau tricolore et la nomment “Julia”, en l’honneur du mois de juillet.
- Les Napolitains l’appellent Ferdinandea, hommage au roi Ferdinand II.
Chaque nation espère revendiquer cette nouvelle terre, véritable “caillou diplomatique” qui pourrait donner un accès stratégique à 370 km de zones maritimes si elle reste émergée.
Et puisque la géopolitique adore les quiproquos, cette compétition ridicule, mais très sérieuse, a failli tourner à l’incident diplomatique international. Tout ça pour une île engloutie six mois plus tard, en janvier 1832.
Un jacuzzi infernal
Pendant son existence éphémère, Ferdinandea n’a pas seulement attiré des marins avec des drapeaux. Elle a aussi fasciné les scientifiques.
Au sommet, deux bouches volcaniques éjectaient de la lave, puis se sont remplies d’eau salée, formant deux petits lacs. Jusque-là, rien d’anormal. Sauf que l’eau s’est teintée de rouge, en raison de sa charge en sulfate ferreux et sulfure d’hydrogène.
En octobre, le sommet ne dépassait plus qu’un mètre la mer. Puis tout s’est effondré. Littéralement. L’île s’est dissoute sous les coups de boutoir de la mer, jusqu’à devenir invisible.
L’île fantôme bombardée par erreur
Petit bond dans le temps. Nous sommes en 1987. La guerre froide bat son plein. Des avions américains survolent la Méditerranée et repèrent… un étrange relief. Verdict ? Un sous-marin libyen suspect !
Sans attendre de vérifier (l’armée US est reconnue pour son art de la subtilité), les bombardiers lâchent leurs bombes. Problème : ce n’était pas un sous-marin, mais le sommet submergé de Ferdinandea.
Un petit morceau de territoire, un grand casse-tête juridique
Tout ça resterait du domaine de l’anecdote amusante si Ferdinandea n’avait pas un potentiel juridique explosif.
L’article 121 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer stipule qu’une île “habitable” permet à l’État propriétaire de revendiquer une zone économique exclusive (ZEE), jusqu’à 370 km autour.
Mais un simple rocher inhabitable ? Rien du tout. Juste une gêne pour les navires.
Autrement dit : si Ferdinandea émerge à nouveau, il faudra trancher : île ou rocher ?
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Anticipation, diplomatie… et humour géologique
En 2002, un article satirique proposait carrément d’envoyer des plongeurs français planter un drapeau étanche et ignifugé au sommet de Ferdinandea pour qu’à la prochaine éruption, l’île ressorte directement tricolore, prête à entrer dans l’espace Schengen.
En 2001, une expédition italienne a déposé une stèle de 150 kg affirmant que cette île “appartiendra toujours aux Siciliens”. Moins de six mois plus tard, elle est retrouvée brisée. Sûrement par la mer. Ou par un amateur de marbre.
Aujourd’hui, Ferdinandea est surveillée. Des sismomètres y ont été posés. Les géologues gardent un œil sur Empédocle. Et les diplomates, eux, croisent les doigts pour que rien ne remonte trop vite…
Image : Représentation d’artiste de l’île de Ferdinandea