La couleur de la carotte n’est pas fortuite.
Il suffit de couper une carotte en deux pour y lire un morceau d’histoire. Son orange éclatant n’est pas une lubie de la nature, ni un caprice de climat. C’est le résultat d’une lente sélection humaine, étalée sur des siècles. Une couleur vive comme un étendard, née de choix politiques, de croisements agricoles et d’une petite révolution génétique bien méconnue.
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La carotte, une racine qui a connu du chemin avant d’arriver orange dans notre assiette
À l’origine, la carotte n’avait rien d’orange. Sauvage, elle poussait dans les terres arides d’Asie centrale et d’Asie occidentale avec des couleurs bien plus variées : blanche, jaune, rouge, violette. Ce panaché naturel était le fruit de la diversité génétique spontanée des populations de Daucus carota, son nom scientifique. Ces variétés primitives étaient filandreuses, souvent amères, très éloignées de nos carottes sucrées d’aujourd’hui. On les utilisait davantage pour leurs graines médicinales que pour leurs racines.
Le coup de pinceau hollandais
Tout change à la Renaissance. On est aux Pays-Bas, au XVIe siècle. Des jardiniers, patriotes et fins sélectionneurs, auraient eu une idée : honorer la maison d’Orange-Nassau, dynastie régnante, en créant une carotte… orange. Ce n’est pas une légende urbaine : la couleur orange était bel et bien un symbole de ralliement national. En croisant des variétés jaunes et rouges, ils ont réussi à renforcer la présence des caroténoïdes, ces pigments responsables de la couleur.
La carotte orange est donc une invention. Une création horticole motivée par un mélange de politique, de goût et d’esthétique. Elle s’imposera progressivement dans toute l’Europe de l’Ouest, éclipsant ses cousines colorées.
Ce que disent les gènes
Ce choix historique a été confirmé par la génétique. Des chercheurs ont mis en lumière trois gènes principaux qui, une fois désactivés, augmentent la production de bêta-carotène et d’alpha-carotène. Ces deux pigments appartiennent à la famille des caroténoïdes, et ce sont eux qui donnent à la carotte orange sa couleur typique.
Autrement dit, la carotte orange est une combinaison génétique précise, un bricolage végétal millimétré. Dans les variétés violettes ou blanches, au moins un de ces gènes reste actif, limitant ainsi la coloration orange. Cela explique pourquoi une carotte ne devient pas orange par simple caprice. Il faut une séquence bien particulière.
Une couleur qui nourrit
Au-delà de l’esthétique, la carotte orange a conquis les marchés pour une autre raison : son goût sucré et sa richesse en vitamine A. Le bêta-carotène, une fois ingéré, est transformé par notre organisme en vitamine A, essentielle pour :
- La vision nocturne
- Le bon fonctionnement du système immunitaire
- La santé de la peau
- La croissance cellulaire
Ainsi, la carotte orange s’est imposée comme un aliment santé dans nos assiettes, notamment chez les enfants, chez qui on vante ses effets « pour voir dans le noir ».
Une conquête horticole express
La carotte est cultivée depuis environ 5 000 ans, notamment en Iran et en Afghanistan. Pourtant, l’orange est une nouveauté récente. Elle n’a que 500 ans d’existence dans l’histoire agricole humaine. En à peine cinq siècles, elle a supplanté toutes les autres teintes dans les rayons des supermarchés. Cette diffusion rapide est révélatrice : l’uniformisation colorée est souvent le fruit d’une efficacité agricole et commerciale, et non d’une préférence naturelle.
Ce phénomène de standardisation s’observe aussi avec d’autres légumes, comme la pomme de terre à chair blanche, pourtant loin d’être la seule variété existante.
Les couleurs perdues… ou retrouvées
Ironie du sort, depuis une vingtaine d’années, les carottes violettes, jaunes ou blanches font leur retour sur les étals bio et les marchés de niche. Ces variétés anciennes sont remises au goût du jour par les cuisiniers, les semenciers et les amateurs de diversité alimentaire. Elles redonnent à la carotte sa palette d’origine, et rappellent que cette racine n’a pas toujours été orange.
On redécouvre aussi que certaines carottes violettes contiennent des anthocyanes, des pigments aux propriétés antioxydantes. Et que les carottes jaunes ont souvent une texture plus tendre. Autant de nuances oubliées dans le grand rouleau compresseur de l’agro-industrie moderne.
Résumé génétique et historique de la carotte en quelques points
Caractéristique | Détail |
---|---|
Origine | Asie centrale et Asie occidentale |
Couleurs originelles | Blanc, jaune, rouge, violet |
Apparition du orange | XVIIe siècle, Pays-Bas |
Motivation | Hommage à la maison d’Orange-Nassau |
Gènes impliqués | Trois gènes régulateurs de caroténoïdes |
Composants colorants | Bêta-carotène et alpha-carotène |
Rôle nutritionnel | Précurseurs de la vitamine A |
La carotte orange, donc, est tout sauf naturelle. Elle est le fruit d’un acte volontaire, d’un bricolage génétique précautionneux, d’un goût symbolique pour une couleur, et d’une quête nutritionnelle. Un légume de laboratoire… de jardin.
Source : https://lavoiedujardinier.fr/2018/06/08/histoire-de-la-carotte/