Ce que les scientifiques ont mis au jour à McGraths Flat, en Nouvelle-Galles du Sud, dépasse largement le cadre d’une simple découverte paléontologique. Dans un site où l’oxyde de fer, le goethite, a piégé la matière organique avec une finesse exceptionnelle, une nouvelle espèce de poisson osméride a été décrite : Ferruaspis brocksi.
Son nom, qui associe ferrum (fer) et aspis (bouclier), évoque à la fois sa minéralisation ferrique et la tradition nomenclaturale des poissons fossiles. Mais ce poisson est bien plus qu’un nom.
Il est un témoignage direct de l’écosystème aquatique australien d’il y a environ 15 millions d’années.
Un corps élancé, une nage structurée
Ferruaspis brocksi possède un corps allongé, fusiforme, adapté à la nage rapide en pleine eau. Il mesure environ 70 mm, présente une nageoire dorsale bien développée et une petite nageoire adipeuse, située à l’arrière du dos.
Contrairement à ses cousins modernes comme Prototroctes, il ne montre aucun signe de fusion entre certains éléments de la nageoire caudale, ce qui indique une position précoce dans l’arbre évolutif des osméridés du sud.
Ses nageoires sont parfaitement positionnées pour une nage équilibrée : les pectorales sont basses, les pelviennes alignées sous la dorsale, et l’anale très étendue, occupant presque un tiers de la longueur corporelle.
Un regard sur son régime alimentaire
L’un des aspects les plus instructifs vient de la conservation exceptionnelle de ses contenus stomacaux. Quatre spécimens fossiles ont révélé un menu répété : des larves de Chaoborus abundans, un insecte aquatique benthopélagique.
Cela indique une alimentation opportuniste à mi-profondeur, voire en surface. Deux estomacs contenaient des ailes d’insectes, et un autre, un bivalve d’eau douce.
Le poisson évoluait donc dans une eau douce riche en insectes aquatiques et probablement bordée de végétation, à proximité d’un cours d’eau capable d’héberger également des moules parasites de type unionidé.
Un cas unique de fossilisation de la pigmentation
Là où cette espèce fascine les chercheurs, c’est par la préservation inédite de ses cellules pigmentaires, appelées mélanophores. Des structures en forme de points jaunes ou orangés apparaissent encore sur les fossiles, formant deux bandes latérales sombres sur fond clair : un motif appelé “contre-ombrage”, typique des poissons pélagiques.
En examinant ces mélanophores au microscope électronique, les scientifiques ont retrouvé des moulages de mélanosomes, les organites contenant la mélanine. Dans l’œil du poisson, deux types de mélanosomes ont été détectés, reproduisant fidèlement les structures de la rétine chez les poissons actuels.
Jamais auparavant un fossile de poisson osmeriforme n’avait livré autant d’informations sur sa coloration.
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Une vie entièrement en eau douce ?
Contrairement à la majorité des Osmeriformes actuels qui alternent entre rivières et mers (anadromie ou amphidromie), les preuves réunies autour de F. brocksi suggèrent un cycle de vie exclusivement en eau douce.
La taille variée des individus trouvés au même endroit et la distance de ce site fossile par rapport aux anciens littoraux marins de l’époque excluent une migration régulière vers l’océan.
Un comportement potamodrome, c’est-à-dire un cycle de vie intégralement en rivière, semble donc le plus probable. Ce type de stratégie est rare chez les Osmeriformes modernes, ce qui confère à Ferruaspis brocksi un intérêt particulier pour comprendre les évolutions de ces modes de vie.
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Un hôte malgré lui : les traces d’un parasite
Dans un des spécimens, les chercheurs ont observé une larve de moule d’eau douce, appelée glochidie, encore attachée à la nageoire caudale. Cette forme larvaire parasite utilise les poissons comme hôte temporaire.
Ce détail est d’une importance capitale : c’est la première fois qu’une telle interaction parasite est observée dans le registre fossile. Cela prouve non seulement que le poisson a vécu assez longtemps après l’infection pour que la fossilisation conserve l’interaction, mais aussi que son environnement avait un lien direct avec un cours d’eau principal où ces moules se reproduisaient.
Une branche évolutive distincte
L’analyse phylogénétique, réalisée à partir d’une matrice morphologique de 112 caractères, place Ferruaspis brocksi comme une lignée divergente parmi les osmeriformes du sud.
Ce n’est ni un ancêtre direct des formes modernes ni un membre classique des familles existantes. Il représente une famille nouvelle : les Ferruaspidés, définie par une combinaison unique de caractéristiques morphologiques, notamment une nageoire dorsale antérieure, une absence de carène ventrale cornée et 19 rayons caudaux.
Un site exceptionnel, des perspectives inégalées
Le gisement de McGraths Flat révèle une fossilisation très spécifique, dominée par le goethite. Cette formation géochimique, rare pour les fossiles, a permis la conservation fine de tissus mous, comme la pigmentation ou les structures internes des insectes et poissons.
Il ouvre une fenêtre unique sur les écosystèmes d’eau douce du Miocène australien et offre des conditions presque idéales pour la recherche sur l’évolution des tissus mous, les interactions écologiques, et même le comportement.
L’étude de Ferruaspis brocksi rappelle que les grands récits de l’évolution s’écrivent souvent avec les détails les plus infimes : une ligne de pigmentation, une larve parasite, ou une nageoire bien positionnée.