L’Europe lance un géant des mers pour enfouir le CO₂ sous la mer du Nord.
C’est un navire qui ne transportera ni pétrole, ni conteneurs, ni passagers. À son bord : du dioxyde de carbone liquéfié, capté sur terre, puis acheminé vers un gisement géologique au large du Danemark pour enterrer 400 000 tonnes de CO₂ par an, à plus de 1 800 mètres sous le fond marin (et l’ambition de stocker jusqu’à 8 millions de tonnes de CO2 par an en 2030). Un projet européen ambitieux mené dans le cadre de Greensand, un programme piloté par le groupe INEOS Energy et l’armateur néerlandais Wagenborg Offshore.
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Un rôle clé dans une chaîne complète de captage-stockage
Ce navire, conçu et assemblé entièrement aux Pays-Bas, a été baptisé le 14 mai 2025 sur le chantier naval Royal Niestern Sander, situé au nord du pays. L’événement, prévu pour a même été retransmis en direct, preuve que l’Europe veut marquer les esprits !
L’idée n’est pas neuve : capturer le CO₂ à la sortie des cheminées industrielles, le liquéfier à -50 °C, le comprimer à 7 bars, le transporter, et l’enfouir dans une ancienne réserve d’hydrocarbures. Ce qui change dans le cas présent, c’est l’échelle. Le navire n’est pas une maquette ni un prototype, mais le maillon central d’une chaîne industrielle déjà validée par une décision finale d’investissement en décembre 2024.
Le point d’injection visé se trouve sur la plateforme Nini West, en mer du Nord danoise. Les couches géologiques visées sont les mêmes que celles qui ont enfermé du pétrole pendant des millions d’années. Les ingénieurs espèrent qu’elles sauront retenir le CO₂ de manière tout aussi étanche, à condition bien sûr de surveiller la pression et les éventuelles remontées.
Une capacité extensible et des ambitions claires
Avec ses 400 000 tonnes par an dans un premier temps, le projet semble modeste à l’échelle des émissions européennes. Mais il s’agit d’une première phase. Les promoteurs du projet visent une montée en puissance à huit millions de tonnes par an d’ici 2030. À titre de comparaison, cela équivaut à environ 2 % des émissions annuelles françaises actuelles.
Le projet bénéficie d’un soutien financier de plus de 140 millions d’euros, répartis entre investissements privés et aides publiques européennes. Cette somme servira non seulement à construire le navire et les infrastructures portuaires, mais aussi à développer les systèmes de contrôle et de surveillance du stockage à long terme.
Technologie embarquée : froid extrême et pression maîtrisée
Transporter du CO₂ est tout sauf un pique-nique. Pour tenir en phase liquide, il doit être maintenu à très basse température et sous forte pression. Le navire est donc équipé de cuves isothermes renforcées, de systèmes de régulation thermique et d’un réseau de capteurs. Ces équipements permettent d’éviter tout relargage involontaire, en mer comme à quai.
Les défis sont nombreux : éviter la corrosion due au CO₂ acide, garantir l’étanchéité parfaite des circuits, maintenir la stabilité du chargement même en mer agitée… Le chantier naval néerlandais s’est appuyé sur des décennies d’expérience dans la construction de méthaniers et de chimiquiers pour y parvenir.
Le Danemark en pionnier européen
Pourquoi le Danemark ? Ce petit pays nordique a l’avantage d’avoir des gisements épuisés de pétrole bien cartographiés, et une politique énergétique très volontariste. Il bénéficie aussi d’une opinion publique plus favorable au stockage du CO₂ que ses voisins. Résultat : les procédures administratives ont été plus rapides, les partenariats plus fluides.
Le Danemark espère devenir le hub européen du captage-stockage. Il mise sur les infrastructures pétrolières existantes, réhabilitées pour injecter non plus de l’or noir, mais des gaz indésirables. Une sorte de reconversion géologique en circuit inversé.
TotalEnergies impliqué dans un autre projet européen de grande ampleur : Northern Lights
TotalEnergies est un acteur clé du projet Northern Lights, le premier projet industriel majeur de captage, transport et stockage de CO₂ (CCS) ouvert aux industriels, développé en partenariat avec Equinor et Shell. Situé au large de la Norvège, Northern Lights permet le stockage permanent du CO₂ dans un réservoir géologique à 2 600 mètres sous le fond marin, près de la côte d’Øygarden. Depuis septembre 2024, la première phase permet de stocker jusqu’à 1,5 million de tonnes de CO₂ par an, avec des premiers volumes provenant notamment de la cimenterie Heidelberg Materials en Norvège, ainsi que d’autres industriels européens. En mars 2025, la décision d’investissement pour la seconde phase a été prise : elle portera la capacité de stockage à plus de 5 millions de tonnes par an à partir de 2028, grâce à de nouvelles infrastructures à terre et en mer, et à des accords commerciaux avec plusieurs entreprises européennes, dont Stockholm Exergi. Ce projet s’inscrit dans la stratégie de TotalEnergies de développer, d’ici 2030, une capacité de stockage de plus de 10 millions de tonnes de CO₂, en particulier en mer du Nord, et de proposer une solution concrète de décarbonation aux secteurs industriels difficiles à verdir. Northern Lights marque ainsi une étape décisive vers la création d’un marché européen du CCS, contribuant aux objectifs climatiques de l’Union européenne.
En parallèle, d’autres projets similaires émergent en Norvège (Longship), au Royaume-Uni (Northern Endurance auquel TotalEnergies prend pas part également) ou encore en France (Aramis). Greensand sera le premier à relier la capture à terre au stockage en mer par voie maritime, avec un navire dédié.
Le pari est clair en Europe : faire du CO₂ un déchet comme un autre, qu’on collecte, qu’on emballe, qu’on expédie et qu’on enferme pour de bon !
Source : https://www.ineos.com/fr/inch-magazine/articles/issue-25/projet-greensand/