L’exploit fou de physiciens chinois qui fait fusionner du carbone comme dans les étoiles.
Une réaction nucléaire rarissime, observée à une énergie quasi stellaire, a été mesurée pour la première fois avec une sensibilité inégalée. Au cœur de l’expérience, un faisceau de carbone, un cristal ultra-pur et un détecteur aux allures de microscope du futur.
Et si on vous disait qu’on venait d’entendre un murmure au fond d’un ouragan ?
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La Chine est parvenue à réaliser la fusion presque impossible de 2 atomes de carbone 12
Dans les étoiles massives, quand l’hélium est épuisé, c’est au tour du carbone d’entrer en scène. Deux noyaux de carbone 12 qui se percutent et fusionnent, donnant naissance à du néon, du sodium, du magnésium, et parfois… à une supernova.
Problème : à l’échelle humaine, cette fusion est diaboliquement improbable. La force électrique entre les noyaux (la fameuse barrière de Coulomb) agit comme un mur électrostatique de 5,8 MeV. Et pour percer ce mur avec une énergie d’à peine 2,22 MeV (là où les étoiles le font), il faut que deux noyaux soient très, très patients.
En laboratoire, cette patience se traduit par des milliards de milliards de tirs… pour quelques événements. Littéralement.
Le fusil à carbone made in Pékin
Pour forcer la main à la nature, l’équipe chinoise a sorti l’artillerie lourde : l’accélérateur LEAF. Ce bijou technologique propulse des faisceaux d’ions carbone à des vitesses délirantes. Objectif : bombarder une cible et espérer que quelques noyaux fusionnent en défiant les lois statistiques.
La cible, c’est du graphite pyrolytique hautement orienté (HOPG), une forme cristalline de carbone d’une pureté extrême, utilisée dans les instruments à rayons X. Ce matériau n’est pas là pour faire joli : il limite drastiquement le bruit de fond, ce qui est essentiel quand on tente d’entendre une aiguille tomber dans un volcan.
Une caméra pour les particules fantômes
Quand deux noyaux de carbone fusionnent, ils émettent des particules alpha (des noyaux d’hélium). Pour les détecter, les chercheurs ont déployé un dispositif à mi-chemin entre un télescope et une caméra 3D : une chambre à projection temporelle (TPC) couplée à des détecteurs en silicium.
Le principe ? La TPC trace la trajectoire des particules dans l’espace, tandis que le silicium mesure précisément leur énergie. Le tout permet de reconnaître les traces de la fusion au milieu de milliards d’événements parasites.
Résultat : une mesure directe de la réaction 12C+12C à 2,22 MeV, dans ce qu’on appelle la fenêtre de Gamow, l’intervalle énergétique où ces fusions se produisent dans les étoiles.
Un événement sur 100 millions de milliards
Et maintenant, accrochez-vous : sur 100 quadrillions (10¹⁷) de tirs, une seule fusion est détectée.
Cette réaction rarissime est donc observée avec une sensibilité jamais atteinte : un rendement de 10⁻¹⁷ par ion incident. C’est, à ce jour, la mesure la plus sensible jamais réalisée de la fusion 12C(12C,α₀)20Ne.
Pourquoi est-ce aussi important ? Parce que cette fusion est un maillon central dans l’évolution des étoiles massives. Elle précède des phénomènes comme l’effondrement du cœur, les supernovae, et la formation des éléments lourds.
L’usure des cibles, un talon d’Achille
Tout n’a pas été simple. Après plusieurs heures de bombardement, la cible HOPG a subi des dégâts : 51 % de particules alpha en moins détectées, et une baisse de 25 % des protons enregistrés.
En cause, la dégradation de la surface et la perte d’hydrogène dans le matériau, ce qui réduit drastiquement la qualité des mesures dans la durée.
Les chercheurs ont compensé ces effets dans leurs résultats finaux, mais l’expérience met en lumière les limites des cibles actuelles pour les expériences prolongées. Il faudra donc améliorer la résistance des matériaux pour aller encore plus loin.
Vers une nouvelle astrophysique expérimentale
Cette expérience, publiée dans la revue Nuclear Science and Techniques, ouvre une fenêtre inédite sur les processus à l’œuvre dans les cœurs stellaires. Elle donne accès à une réaction jusqu’alors quasi-théorique, qui façonne l’univers sans que personne ne puisse l’observer directement… jusqu’à maintenant.
En affinant les modèles de fusion du carbone, les astrophysiciens pourront mieux prédire les étapes finales de la vie des étoiles, et comprendre comment l’univers synthétise les éléments qui nous entourent.
Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, c’est cette même chaîne de réactions que nous utiliserons pour créer de l’énergie ici-bas.
Pas dans les étoiles, mais dans nos réacteurs.
Source :
Wang, S., Li, YZ., Ru, LH. et al. 12C+12C fusion reaction at astrophysical energies using HOPG target. NUCL SCI TECH 36, 143 (2025).
https://doi.org/10.1007/s41365-025-01714-3
J’adore
Si la fusion du carbone était si rare que ce qu’affirme le titre était vrai, cette fusion qui produit le néon, le sodium, et le magnésium qui sont plutôt abondants, serait rare elle-même. En effet, ces trois atomes figurent parmi les 8 atomes les plus rependus sur la presque centaine de ceux qui existent à l’état naturel dans l’Univers.