La biodiversité disparaît à une vitesse alarmante. Des espèces s’éteignent avant même d’être étudiées, des écosystèmes s’effondrent, et pourtant… les fonds alloués à leur préservation sont dérisoires. Une équipe de chercheurs de l’Université de Hong Kong a décortiqué 15 000 projets financés sur 25 ans et leurs conclusions sont sans appel : la répartition de ces financements est non seulement insuffisante, mais surtout extrêmement déséquilibrée.
Un budget microscopique face à l’ampleur du problème
L’étude, publiée dans la revue PNAS, met en lumière un chiffre qui pique les yeux : 1,93 milliard de dollars consacrés à la conservation des espèces sur 25 ans. Cela peut sembler conséquent, mais mettons cela en perspective : c’est 0,3 % du budget annuel de la NASA et 0,01 % de celui de l’armée américaine.
Autrement dit, on dépense des sommes astronomiques pour explorer d’autres planètes ou perfectionner des armes, pendant que sur Terre, des espèces disparaissent faute de moyens. À ce rythme, certaines auront disparu avant même que l’on ait pu les observer autrement que sur une vieille illustration naturaliste.
Une inégalité flagrante entre les espèces protégées
On pourrait imaginer que cet argent soit attribué aux espèces les plus menacées, mais ce n’est absolument pas le cas.
Les chercheurs ont comparé les financements à l’échelle mondiale avec l’indice de menace défini par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la fameuse “liste rouge” qui classe les espèces selon leur risque d’extinction. Résultat : les financements privilégient massivement les vertébrés, mais même au sein de ce groupe, le favoritisme est frappant.
Les amphibiens, l’un des groupes les plus en danger, sont largement sous-financés, et pour les reptiles, la situation frôle l’absurde. 87 % du budget destiné aux reptiles va exclusivement aux tortues marines, alors que des centaines d’espèces de lézards et de serpents sont en danger critique sans recevoir un centime.
La raison ? Le “charisme” des espèces. Autrement dit, plus une espèce est jugée esthétique, populaire ou emblématique, plus elle attire les financements. Les pandas ? Subventionnés. Les tigres ? Idem. En revanche, les petits amphibiens baveux, les insectes discrets et les plantes rares n’ont pratiquement aucun soutien.
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Des millions d’espèces laissées à l’abandon
Certaines catégories d’organismes sont littéralement ignorées par les financements. Les plantes et les insectes, qui représentent pourtant la majorité des espèces terrestres, reçoivent à peine 6 % des fonds chacun. Quant aux champignons et aux algues, ils sont quasi inexistants sur les radars des bailleurs.
C’est paradoxal : pas d’insectes, pas de pollinisation ; pas de plantes, pas d’oxygène ; pas de champignons, pas de recyclage des nutriments. Autrement dit, on néglige des groupes fondamentaux pour la stabilité des écosystèmes.
Comment répartir l’argent autrement ?
Les chercheurs tirent la sonnette d’alarme : les ONG et les agences de conservation doivent changer leur approche. Il ne suffit pas d’injecter plus d’argent, encore faut-il mieux le répartir.
Ils proposent :
- Une transparence accrue sur l’allocation des fonds pour éviter les doublons et les gaspillages.
- Une meilleure prise en compte des besoins réels des espèces, plutôt que de se fier à leur attractivité médiatique.
- Un soutien accru aux taxons délaissés pour éviter que des pans entiers de la biodiversité ne disparaissent sans même qu’on s’en aperçoive.
Un espoir pour l’avenir ?
La base de données mise en place par l’équipe de Hong Kong pourrait aider à identifier les failles du financement et rééquilibrer les efforts de conservation. Encore faut-il que les décideurs et les mécènes acceptent de regarder en face la réalité : on ne peut pas se contenter de protéger les espèces les plus photogéniques.
Le message est simple : soit on élargit notre vision de la conservation, soit on accepte l’extinction de milliers d’espèces dans l’indifférence générale.
Résumé en 5 à 7 points
- Seuls 1,93 milliard de dollars ont été investis dans la conservation des espèces en 25 ans, soit une somme dérisoire comparée aux budgets d’autres secteurs.
- Les financements sont massivement orientés vers les espèces jugées “charismatiques”, au détriment des véritables urgences écologiques.
- Les amphibiens et les reptiles sont particulièrement sous-financés, avec 87 % du budget dédié aux reptiles attribué uniquement aux tortues marines.
- Les insectes, les plantes et les champignons reçoivent une part infime des fonds, bien qu’ils soient essentiels aux écosystèmes.
- Les chercheurs appellent à une répartition plus équitable des fonds, basée sur les menaces réelles pesant sur les espèces et non sur leur popularité.
- Une base de données mondiale est en cours de constitution pour mieux guider les futurs investissements en conservation.
- Sans changement radical dans la gestion des financements, des milliers d’espèces disparaîtront sans qu’aucun effort n’ait été fait pour les sauver.
Source de l’étude : http://dx.doi.org/10.1073/pnas.2412479122