Le laser “nucléaire” américain qui pourrait changer la donne pour le combustible fissible.
Et si l’on pouvait produire du combustible fissible à haute efficacité, en masse, sans centrifugeuses géantes ni consommation énergétique faramineuse ? Aux États-Unis, une installation privée vient de franchir ce palier en testant le laser le plus puissant au monde dédié à l’enrichissement de l’uranium. Une technologie digne de la science-fiction… mais bien réelle.
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Une boucle de test nucléaire unique au monde aux États-Unis
Le cœur du projet se situe à Wilmington, en Caroline du Nord. C’est là que la société Global Laser Enrichment (GLE) opère sa “Test Loop”, une boucle de test qui a déjà accumulé plus de 13 000 heures de fonctionnement. Contrairement aux complexes militaires classifiés, cette installation est entièrement privée, une première mondiale dans le domaine.
Depuis quelques semaines, GLE y mène la phase TRL-6, qui correspond à une évaluation en conditions quasi industrielles. En langage clair : le système fonctionne, il est stable, et on s’apprête à passer à la vitesse supérieure.
Ce test grandeur nature est basé sur la technologie SILEX, un acronyme pour Separation of Isotopes by Laser EXcitation. L’idée est d’utiliser des faisceaux laser pour exciter de manière sélective les isotopes d’uranium et séparer le fameux U-235, indispensable au bon fonctionnement des centrales nucléaires.
Pourquoi l’enrichissement laser change la donne
En général, enrichir de l’uranium, c’est comme vouloir extraire une goutte de sirop dans une baignoire d’eau. Le minerai naturel contient 0,7 % de U-235 et 99,3 % de U-238, inutile pour la fission nucléaire. Pour en faire du carburant pour réacteur, il faut atteindre au moins un pallier allant de 3 à 5 % de U-235.
Les méthodes classiques, par diffusion gazeuse ou centrifugation, sont très gourmandes en énergie. Elles représentent environ 30 % du coût total du combustible, et près de 5 % du coût de l’électricité nucléaire.
SILEX pourrait amener une nouvelle technique moins gourmande. Grâce à la précision extrême du laser, il est possible d’extraire le bon isotope en consommant moins d’énergie, avec moins de déchets, et sur des installations plus compactes.
GLE prévoit de produire, dès cette phase de test, plusieurs centaines de kilogrammes d’uranium enrichi. Ces résultats alimenteront les données nécessaires pour certifier la technologie auprès de la Nuclear Regulatory Commission américaine.
Une indépendance nucléaire “made in USA” ?
Autre atout de taille : le projet repose entièrement sur des infrastructures américaines. L’usine finale, le Paducah Laser Enrichment Facility (PLEF), sera construite dans le Kentucky. Elle exploitera des déchets enrichis partiellement (appelés queues d’uranium appauvri), que le ministère américain de l’Énergie met à disposition exclusive de GLE.
Ce dispositif limite fortement la dépendance à des fournisseurs étrangers, à commencer par la Russie et même la France qui, par le biais de Framatome, devrait bientôt fournir du combustible pour les centrales nucléaires américaines.
Des implications pour les réacteurs du futur
Derrière ce projet, ce n’est pas seulement le nucléaire classique qui est en jeu. La technologie SILEX est particulièrement adaptée aux nouveaux besoins, notamment ceux des petits réacteurs modulaires (SMR) et des réacteurs avancés à sels fondus ou à neutrons rapides.
Ces réacteurs requièrent souvent des taux d’enrichissement supérieurs à ceux des centrales actuelles, allant jusqu’à 20 % de U-235. Le système laser permettrait une adaptation bien plus souple des volumes et des spécifications, sans avoir à relancer une ligne entière de production.
Cela ouvre aussi la voie à des économies d’échelle, à une réduction du temps de cycle, et à une standardisation de la production, autant d’éléments clés pour accélérer la transition énergétique bas carbone.
Des investissements massifs pour une relance nucléaire
Depuis le début du programme, plus de 550 millions d’euros ont été investis. Cela couvre la conception des systèmes, l’aménagement des infrastructures, la mise en conformité réglementaire et bien sûr, les essais opérationnels.
L’un des objectifs à court terme est de soumettre, dès cet été, un dossier de sécurité complet aux autorités américaines. Si tout se passe comme prévu, la production industrielle pourrait débuter dans moins de cinq ans.
GLE, qui travaille en partenariat avec Silex Systems Ltd (Australie) et Cameco Corporation (Canada), espère bien transformer ce qui n’était encore qu’un pari technologique en pilier stratégique du XXIe siècle énergétique.
Tableau comparatif des avantages de la méthode SILEX pour l’enrichissement de l’uranium
Méthode | Consommation énergétique (kWh/SWU) | Taux de séparation U-235 (%) | Coût estimé (€ par SWU*) | Empreinte au sol (m²) |
---|---|---|---|---|
Diffusion gazeuse | 2400 | 0,3 | 130 | 100 000 |
Centrifugation | 50 | 0,5 | 90 | 30 000 |
SILEX (laser) | 25 | 0,8 | 65 | 5 000 |
*SWU signifie “Separative Work Unit”, ou “unité de travail de séparation” en français. C’est une unité de mesure utilisée dans l’industrie nucléaire pour quantifier le travail nécessaire pour enrichir l’uranium.
Plus précisément, 1 SWU correspond à l’énergie (et la complexité technique) requise pour :
- séparer les isotopes U-235 et U-238 contenus dans l’uranium naturel,
- afin d’obtenir une certaine quantité d’uranium enrichi à un pourcentage donné de U-235.
Source : https://www.gle-us.com/wp-content/uploads/2025/05/GLE-TRL6-Demonstration-Announcement.pdf