Une croûte glacée sans cesse renouvelée sur le satellite Europe.
La surface d’Europa, l’une des plus grosses lunes de Jupiter, n’est pas ce désert figé qu’on pourrait imaginer. Les données du télescope spatial Webb, enrichies par des expériences en laboratoire, révèlent que cette croûte glacée évolue en fait en permanence ! Les zones chaotiques, comme Tara Regio, exhibent une alternance de glace cristalline et amorphe, signe que l’astre n’est pas figé mais bel et bien actif.
Sur Terre, la glace adopte un motif cristallin bien ordonné. Sur Europa, en revanche, les particules chargées issues du puissant champ magnétique de Jupiter bombardent la surface, la déstabilisant et créant de la glace amorphe, désorganisée.
Les chercheurs soupçonnent désormais la coexistence de ces deux formes sur Europa, un indice que la surface est sans cesse travaillée par des forces venues de l’intérieur et de l’espace.
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La mystérieuse glace d’Europe est plus active que prévue
Pour mieux comprendre ces transformations, l’équipe de Dr Ujjwal Raut au Southwest Research Institute a recréé en laboratoire les conditions glaciales et radioactives d’Europa. Ils ont observé la vitesse à laquelle la glace change de forme, surtout dans ces zones accidentées appelées chaos terrains. Résultat : un cycle de transformation constant, rapide, qui laisse penser que l’astre dissimule sous son épaisse couche de glace des forces bien plus dynamiques qu’on ne le croyait.
En croisant ces données de laboratoire avec les observations récentes du télescope Webb, les scientifiques avancent une hypothèse de plus en plus solide : sous cette surface gelée se cache un vaste océan liquide, un véritable trésor d’astrophysicien.
Tara Regio : un laboratoire à ciel ouvert
La zone de Tara Regio intrigue particulièrement. Les mesures spectrales y montrent de la glace cristalline non seulement sous la surface, mais aussi à l’air libre, sur les fractures. Ainsi a surface d’Europa n’est pas simplement recouverte d’une mince couche amorphe, mais connaît des cycles de recristallisation actifs et rapides.
Dr Richard Cartwright, spectroscopiste à l’Université Johns Hopkins, évoque un terrain poreux et localement réchauffé, où la glace a le temps de s’organiser en cristaux. Une observation qui conforte l’idée que l’océan interne d’Europa s’exprime jusque dans ses glaces de surface.
Un cocktail chimique inattendu
Au cœur de Tara Regio, les instruments ont détecté des signatures étonnantes : du dioxyde de carbone (CO2), du peroxyde d’hydrogène et même du chlorure de sodium, autrement dit du sel de table. Pour Dr Cartwright, ces signatures chimiques étranges ne peuvent venir que des profondeurs. Elles trahissent la présence de matériaux océaniques qui, poussés par des fractures géologiques, remontent à la surface.
L’idée d’un océan à près de 30 km sous la glace devient donc plus qu’un simple soupçon. Les observations de ces sels, conjuguées à la présence de glace cristalline, pointent toutes vers une activité interne, un ballet souterrain qui vient troubler la croûte gelée.
Des isotopes pour remonter à la source
Un autre indice vient renforcer cette hypothèse : les isotopes du carbone. Les mesures révèlent la présence de 12CO2, l’isotope le plus commun, mais aussi de 13CO2, plus rare et plus lourd. Ce dernier, avec un neutron supplémentaire, intrigue les scientifiques : d’où vient-il ? Chaque piste explorée ramène au même scénario : un apport interne, directement issu de l’océan profond.
Les isotopes forment donc un puzzle passionnant, dont les pièces semblent s’assembler sous la glace. Ils donnent un indice supplémentaire sur les échanges entre l’océan souterrain et la surface, à travers un cycle de cristallisation, de fonte et de remontée des matériaux.
Un océan qui pourrait abriter la vie ?
L’océan sous la glace d’Europa n’est pas seulement un immense réservoir d’eau salée. Avec ces sels et ces signatures chimiques étranges, les scientifiques imaginent déjà un environnement où la vie pourrait exister. Les fractures, les mouvements de la glace et la présence de sels pourraient former un écosystème unique, chauffé par les forces de marée et les réactions chimiques.
De la vie extra-terrestre dans notre propre système solaire ? L’espoir est permis même si bien entendu la science doit encore approfondir la question !
Source :
“JWST Reveals Spectral Tracers of Recent Surface Modification on Europa” par Richard J. Cartwright, Charles A. Hibbitts, Bryan J. Holler, Ujjwal Raut, Tom A. Nordheim, Marc Neveu, Silvia Protopapa, Christopher R. Glein, Erin J. Leonard, Lorenz Roth, Chloe B. Beddingfield and Geronimo L. Villanueva, 28 mai 2025, The Planetary Science Journal.
DOI: 10.3847/PSJ/adcab9
Image : Vue d’artiste d’un geyser sur Europe (d’après les observations du télescope Hubble en 2016) – NASA/ESA/K. Retherford/SWRI